Personne n’avait prononcé son nom dans la campagne. Il l’a posé de lui-même sur la place publique, l’air de rien, au détour d’un entretien. « Oui », Thibaud Delapart, alias « Tibo InShape », accepterait de devenir ministre des Sports, s’il venait à l’idée d’un parti de le lui proposer à l’issue des législatives. Le vidéaste, premier youtubeur de France, endosserait volontiers un rôle au prochain gouvernement, faisait-il ainsi savoir à Brut, le 22 juin dernier, sans qu’on lui pose la question. Aucune plaisanterie, promis.Le jeune homme, connu pour ses gags et sa capacité à pousser d’énormes quantités de fonte, engoncé dans un costume de ministre, sur les photos officielles de l’Elysée ? Aucun candidat ne l’a appelé de ses vœux. Mais la prise de position de la star d’Internet, tout en muscles, n’est pas passée inaperçue : ces quelques mots ont suffi à faire parler de lui dans une dizaine de journaux. Une couverture dont rêveraient bon nombre de chefs de parti.L’intéressé s’est bien gardé de préciser sa pensée, et ne dit pas s’il faut y voir une réelle tentative de se placer dans la course, ou une simple opération de communication. Il n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Mais deux jours après son interview, et à deux semaines de l’arrivée d’un nouveau gouvernement, il relançait l’idée sur ses réseaux sociaux, en demandant à son audience : « Demain, vous devenez ministre des Sports, quelles sont vos mesures ? »L’influence de Hanouna, les biceps de SchwarzeneggerMinistre, le trublion d’Internet ne l’est pas encore. Mais de roi, Tibo InShape en porte déjà l’étoffe. A 32 ans, le vidéaste s’est imposé comme le créateur de contenu le plus en vogue du moment. Sa chaîne, où il se filmait en train de faire des pompes dans sa chambre d’adolescent, engrange désormais des milliards de vues chaque année. L’influence d’un Cyril Hanouna, les biceps d’Arnold Schwarzenegger. L’acteur américain a bien fait carrière en politique, alors pourquoi pas lui ?Son envie de faire partie de l’exécutif, le sportif au dos aussi large que long en a déjà parlé aux 20 millions d’internautes qui le suivent sur YouTube. Au début, sur le ton de l’humour, puis de plus en plus sérieusement. En 2018, il fanfaronnait sur le fait qu’il se laissait « cinq ans », pour arriver à ces responsabilités. Le 8 juillet, au lendemain des législatives, cela en fera six. « Tout est possible », aime-t-il répéter dans ses vidéos. C’est aussi vrai à propos du futur gouvernement.Interrogé sur ses préférences politiques – car oui, l’entretien pour Brut est allé jusque-là –, l’intéressé n’a exclu aucun parti. Mais dans la foulée de ses déclarations, il a aussi confirmé que son cœur penchait à droite. Sur son compte X (ex-Twitter), trône un drapeau français. Il en a aussi accroché un XXL dans sa salle de musculation personnelle à Albi (Tarn), ville ou il a grandi. Un signe, se sont dit les internautes, qui depuis des mois cherchent à en savoir plus sur ses préférences politiques.D’une droite patriotePas de quoi faire de lui un partisan de « l’extrême droite », rétorque l’intéressé, lorsqu’on le lui demande. Ne trouve-t-il pas les rues « plus assez sûres » ? Ne voudrait-il pas des Français plus « patriotes », lui qui s’autorise à se moquer des personnes « non genrées », dans de petits sketchs ? Et si Marine Le Pen lui proposait de rejoindre un gouvernement dirigé par Jordan Bardella, lui a demandé Brut, dans la suite de la séquence ? « Très bonne question. On en reparlera. Ce n’est pas prévu pour l’instant », a-t-il éludé.Le message est-il parvenu aux oreilles de Jordan Bardella ? Celui-ci refuse de désigner ceux qu’il aimerait à ses côtés s’il devenait Premier ministre. Les appels du pied de Tibo InShape resteront donc, pour l’instant, lettre morte. Difficile tout de même de l’imaginer faire partie de la sélection finale : le Rassemblement national a déjà un « Monsieur sport », Aleksandar Nikolic, qui s’est occupé de rédiger quelques propositions. Reste qu’une personnalité aussi populaire que lui serait une prise intéressante, même si elle présenterait sans doute l’inconvénient d’apparaître un peu trop légère pour une partie de l’électorat de Marine Le Pen.Le vidéaste a pourtant fini par s’encravater, avec le temps. Mais à ses débuts, il y a dix ans, il n’avait de cesse de faire parler de lui – par tous les moyens possibles. Ses premières créations ? Des tutoriels pour prendre de la masse musculaire, saupoudrées de blagues graveleuses. Une fois, il fait semblant de se masturber en public ; une autre, il mime une érection. Les femmes étaient pour lui des « petites », il a très longtemps signé ses autographes directement sur leur poitrine. En 2017, il organise un concours de miss. La gagnante remporte le droit de devenir sa petite amie. Elle s’appelle Juju Fitcats, influenceuse musculation, elle aussi. Ils sont toujours ensemble.Un ministre devrait-il dire ça ?Des journalistes dénichent de vieux posts Facebook du jeune trublion, sur un compte personnel, en 2019. « Un Noir réélu, le mariage des homosexuels adopté. Ce ne sera pas une journée facile », peut-on y lire. Ou encore : « Des fois quand je suis énervé je m’amuse à jeter des côtes de porc sur les musulmans. » Une erreur de jeunesse, plaide-t-il. Ces dérapages, il les attribue à une agression dont il a été victime en 2009. Trois hommes l’ont roué de coups dans une ruelle. Après l’incident, il assure avoir longtemps vu « le mal partout ».Un ministre peut-il dire cela ? « Je suis vraiment sincèrement désolé si j’ai pu blesser des personnes qui ont vu ces messages-là […] des cons, il y en a partout, de toutes les couleurs, de toutes les origines », finit-il par s’excuser, dans une vidéo, en 2022. Entre-temps, il s’est professionnalisé. Sur sa chaîne principale, la musculation a petit à petit laissé la place à un contenu plus généraliste. On le voit partout. Sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Dans un mirage 2 000 au-dessus de Paris le 14 juillet. Porteur de flamme olympique, sur ses terres natales.Un essor qu’il doit en partie au camp d’Emmanuel Macron. Gabriel Attal est passé le voir pour une vidéo promotionnelle pour le service national universel. Nicole Belloubet, aussi, lorsqu’elle était garde des Sceaux, pour tenter d’améliorer l’image de la police. Sa chaîne se transforme en une véritable émission de télévision, avec des interviews, des reportages. Quasiment de l' »infotainment », ce mélange d’information et de divertissement. A ceci près que la plupart de ses vidéos sont très souvent sponsorisées par les personnes et les structures qu’il met en avant. Ce qu’il vend comme une « infiltration », chez Lidl par exemple, n’est rien d’autre qu’une publicité pour l’entreprise. Journaliste non, influenceur, oui.Le coach sportif d’une générationIl est loin, le Tibo InShape des débuts, gêné, un peu honteux, sans prétention. Dans ses vidéos, il dit désormais « pouvoir apporter beaucoup à la France ». Sur le plan sportif, au moins. Il a été un des premiers en France à se filmer durant ses séances de sport, à donner son avis, à recommander toutes sortes d’exercices, de mouvements, de régimes alimentaires. Il le fait encore, sur sa chaîne secondaire, Tibo InShape Entrainement. Avec sa carrure, ses conseils valent forcément de l’or aux yeux de ses fans.Le sportif est devenu, de fait, le « coach sportif » virtuel de toute une génération de jeunes qui n’ont pas connu l’aérobic à la télévision. Mais à l’écran, les standards du métier ne sont pas toujours réunis. Il lui arrive de recommander de faire des abdos pour perdre de la graisse du ventre – ce qui ne marche pas, car l’activité physique fait perdre du gras dans l’ensemble du corps, pas seulement près des muscles concernés. Il enchaîne parfois de très longues séries de mouvements – ce qui n’est pas recommandé, car à risque de blessure.Certains pratiquants, et quelques fois aussi ses concurrents, lui font remarquer qu’il pourrait s’assurer des recommandations en vigueur, avant de publier de pareils contenus. « A chaque fois qu’on le critique, il répond qu’il n’a pour ambition que de motiver, rien de plus », commente Mathias Soulhol, éducateur sportif, et vidéaste lui aussi. Les deux se sont croisés à Albi, mais ne se parlent plus depuis longtemps. « Tout repose sur son expérience personnelle. Il teste, et conseille de faire pareil. C’est un peu facile », regrette le formateur.Des mots blessantsEn juin 2022, il se fâche avec bon nombre de médecins, pour ses déclarations sur la dépression : « Réveille-toi putain de merde, rien à foutre de ta dépression, rien à foutre de tes excuses, rien à foutre de ton petit cœur brisé […] ; lève-toi maintenant, tout de suite ! » exhorte-t-il, dans un contenu. Les dépressifs, des flâneurs qui n’auraient qu’à faire des efforts pour aller mieux ? « C’est justement impossible », s’agace Bruno Aouizerate, psychiatre à Bordeaux.La vidéo pourrait paraître anodine, mais pas pour les spécialistes. « La dépression altère le système de récompense dans le cerveau. Elle provoque un manque d’envie, de motivation, d’initiative motrice. Ce n’est pas que les dépressifs ne veulent pas, c’est qu’ils ne peuvent pas. C’est comme si vous aviez une fracture et que je vous demandais de marcher. Ces stéréotypes nuisent fortement à la santé mentale », regrette le soignant.A peine deux mois plus tard, nouvelle bourde. Dans un post publié sur le réseau social X (ex-Twitter), il déclare : « Non, dire à quelqu’un d’obèse […] qu’il doit se reprendre en main […] ce n’est pas être grossophobe, c’est vouloir l’aider. » De quoi, cette fois-ci, se mettre à dos la Ligue nationale contre l’obésité, et de nombreux malades et scientifiques. « Il y a beaucoup d’aspects sur lesquels les obèses n’ont aucune prise », rappelle Gilles Mithieux, chercheur au CNRS. Ministre, vraiment ? »Il devrait prendre ses responsabilités »Le sport est bon pour la santé, de la dépression à l’obésité, mais il ne suffit pas de pousser à en faire. De nombreux autres facteurs, génétiques et physiologiques, entrent en compte dans ces pathologies : « Avec la prise de poids, le corps développe une résistance aux hormones de la satiété, comme la leptine par exemple. Plus on grossit, plus on a faim », souligne Gilles Mithieux. « Tout cela relève d’un processus bien plus complexe que d’aller courir », poursuit le spécialiste. Ministre peut-être, mais n’est pas thérapeute qui veut.L’intéressé a mis du temps avant de s’excuser. Il l’a fait, en février 2024 : « Tout le monde n’aimait pas être motivé en se faisant gueuler dessus. » Il met ses erreurs sur le compte de l’absence de relecteurs dans son équipe. Mais ne dit nulle part qu’il va en recruter. « Avec plus de 20 millions d’abonnés, on est loin du phénomène de chambre. Il devrait prendre ses responsabilités, comme on attendrait d’une grande chaîne de télévision, et s’entourer de conseillers scientifiques », s’agace Ghaïs Guelaïa, coach sportif, en ligne également. Il lui a suggéré l’idée à de nombreuses reprises. Sans réponse, lui aussi.Ce vidéaste, spécialisé dans les contenus critiques sur le sport, en est persuadé : « Je suis sûr qu’il n’est pas mal intentionné. Mais sa logique première, c’est avant tout de faire grossir son activité. » En mars 2024, la star de YouTube fait finalement machine arrière : « J’assume totalement », dit-il désormais à propos de ses déclarations sur la dépression. Pas encore ministre, mais déjà langue de bois ? Dans l’interview où Tibo InShape dévoilait ses ambitions, le journaliste de Brut lui avait demandé s’il n’y a pas en lui une part de cynisme, un sens du buzz qui pouvait expliquer ses écarts. Réponse : « Pas sur tous les sujets. »
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Author : Antoine Beau
Publish date : 2024-07-05 21:00:00
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