L’Express

L’écologie, ce cheval de Troie du régime communiste chinois, par Thierry Wolton

Les présidents chinois Xi Jinping et français Emmanuel Macron, le 7 avril 2023 à Canton, dans le sud de la Chine




En pleine guerre commerciale avec les Etats-Unis et l’Europe, la Chine profite des nouvelles normes de production mises en place par les économies développées afin de répondre au réchauffement climatique pour imposer ses produits, et au-delà son hégémonie économique. Les préoccupations écologiques serviraient-elles de cheval de Troie à Pékin pour parvenir à ses fins ? La question mérite d’être posée face aux offensives commerciales de la République populaire comme aux intentions politiques qui les accompagnent.Grâce à des coûts de fabrication défiant toute concurrence, Pékin dispose déjà d’un quasi-monopole mondial en matière de production de panneaux solaires. Les éoliennes made in China se taillent également la part du lion sur le marché planétaire. Ces deux symboles d’une énergie propre peuvent laisser croire que la République populaire mène une politique écologique exemplaire, alors que le pays reste le plus grand émetteur de CO2 au monde. Le régime communiste n’a nullement renoncé à l’énergie fossile, pis, il multiplie l’installation de centrales à charbon, avec quatre fois plus de mise en chantier ces dernières années que de 2016 à 2020.L’avenir étant à la voiture électrique, le pays veut aussi devenir leader sur ce créneau en proposant des modèles à bas coûts, dans l’intention encore de casser la concurrence. Les Etats-Unis et l’Europe cherchent à contrer ce danger par des taxes à l’importation sur des véhicules qui bénéficient de subventions étatiques massives, en violation des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la Chine est membre depuis 2001. Afin de détourner ces mesures protectionnistes, les marques chinoises cherchent maintenant à délocaliser leurs usines en Europe, en Hongrie et en Pologne notamment.Vingt-cinq ans d’avance dans la course aux ressourcesLes vrais enjeux sont ailleurs, toutefois. Le développement des énergies nouvelles nécessite d’exploiter des richesses minières d’un nouveau genre, comme ce fut le cas pour les énergies fossiles qui ont facilité la révolution industrielle du XIXe siècle. Lithium, graphite, nickel figurent entre autres parmi les matériaux indispensables à la fabrication des nouveaux matériaux, dont les batteries. Sur ce terrain, la Chine s’assure déjà une position dominante. En contrôlant 22 % de la production mondiale de certains matériaux critiques, la République populaire est devenue incontournable entre autres pour le tungstène, les terres rares, le silicium, le graphite naturel, le germanium, l’antimoine. Si l’on ajoute à ce quasi-monopole la part des Brics (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud), pays proches de la Chine, sur les autres matières premières indispensables à la transition écologique, la dépendance occidentale est certaine.L’extraction d’une bonne partie de ces minerais est polluante. Nombre d’industriels occidentaux ont abandonné ce secteur depuis le début des années 2000. Des sites d’exploitation situés en Australie, en Amérique du Sud, en Afrique ont été depuis repris par la Chine, qui ne s’embarrasse pas de ces détails. Dans un rapport remis au gouvernement français en 2022, Philippe Varin estimait que d’ici à 2050 nous allons exploiter autant de minerais que depuis le début de l’humanité. En ces temps de transition écologique, l’importance que revêt la sécurité des approvisionnements pour l’ensemble des pays consommateurs est donc vitale. La Chine a pris vingt-cinq ans d’avance sur le reste du monde dans cette course aux ressources.Offensive industrielle de PékinLa phase déflationniste que traverse l’économie chinoise depuis la sortie du Covid (surproduction due au ralentissement du marché intérieur, fort endettement des communautés urbaines, faillites du secteur immobilier, chômage des jeunes…) freine il est vrai les perspectives de cet avenir radieux auquel travaille Pékin. Mais spéculer sur ce ralentissement pour escompter que le régime renonce à ses ambitions serait une erreur. Pour l’heure, la République populaire veut se débarrasser de ses stocks de voitures électriques en stimulant ses exportations, provoquant les réactions protectionnistes de l’Europe et des Etats-Unis, soucieux de préserver leurs propres industries automobiles. Le précédent du photovoltaïque et de l’éolien justement, secteurs où les autorités chinoises sont parvenues à pousser à la faillite la plupart des fabricants occidentaux, sert d’avertissement. Grâce à sa mainmise sur les minerais stratégiques, le régime communiste prépare le coup d’après. « Ne pas être dépendant du monde, mais faire que le monde soit dépendant de la Chine » est un mot d’ordre de Xi Jinping.Depuis son ouverture aux marchés, dans les années 1990, la Chine a bénéficié d’investissements occidentaux massifs qui ont permis son développement spectaculaire. Dans le même temps, les échanges commerciaux avec l‘Ouest ont facilité le copiage et le pillage industriels pour permettre la mise au point de produits chinois concurrentiels à bas coût, afin de s’emparer de parts de marché. Le pays s’est ainsi hissé en quelques décennies à la deuxième place sur le podium mondial. Les industriels occidentaux, qui ont eu pour le marché chinois les yeux de Chimène, sont revenus de leurs illusions : le régime a peu à peu entravé leur accès à ce marché en multipliant les normes administratives quand dans le même temps les fabricants locaux, moins chers et fortement subventionnés, mettaient en place des produits de substitution. De nos jours, Pékin a réduit sa dépendance aux technologies occidentales. En revanche, le régime doit trouver des débouchés pour sa production industrielle devenue pléthorique. La baisse de la consommation parmi la population, échaudée par la crise du Covid et l’enfermement qui en a résulté, plus soucieuse d’épargner que de dépenser, complique la donne pour le pouvoir. C’est dans cette conjoncture qu’il faut précisément comprendre l’offensive industrielle de Pékin, profitant des nouvelles normes écologiques imposées.Modèle éco-autoritaireLes enjeux climatiques demandent des mesures politiques fortes. Les alternances démocratiques ajoutées à la puissance des lobbys industriels peuvent faire obstacle à des prises de décisions pérennes en la matière. Les écologistes les plus radicaux fustigent l’économie libérale, la liberté des échanges, la recherche de bénéfices, pis de profits, autant de freins selon eux aux mesures qu’il faut prendre pour sauver la planète. Face à l’urgence, seule une tyrannie « bienveillante et éclairée » serait efficace, plaidait déjà il y a un demi-siècle l’écologiste Hans Jonas, auteur du Principe de responsabilité. Plus récemment, le scientifique britannique James Lovelock, connu pour son ouvrage La Terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa, plaidait pour un « monde avec davantage d’autorité ». « Dans les temps de crise, ajoutait-il, nous avons besoin de nous tourner vers quelqu’un en qui nous pouvons avoir confiance. »Après la publication du fameux rapport Meadows sur les limites de la croissance, au début des années 1970, un courant éco-autoritaire est né, partisan d’une dictature écologiste. La planification à la mode soviétique a séduit un temps ces militants, nonobstant le fait qu’une économie basée sur le développement des « forces productives », selon la doxa marxiste, ne pouvait qu’être polluante puisque reposant essentiellement sur des industries lourdes. Le régime chinois peut-il prendre le relais de l’Union soviétique comme modèle d’une nécessaire politique éco-autoritaire ? Pékin spécule là-dessus. Xi Jinping présente le secteur des nouvelles technologies comme les « forces productives » d’aujourd’hui, actualisant le bon vieux schéma marxiste. Ces nouvelles technologies permettent surtout une surveillance accrue de la population chinoise.Dans un régime de ce type, la politique prend le pas sur toute autre considération. L’économie, notamment, doit être mise au service des objectifs que le pouvoir se fixe. Pékin affirme sa volonté de mettre fin à l’hégémonie occidentale pour imposer au monde de nouvelles valeurs, les siennes. Dans cette perspective, la dictature chinoise 2.0 peut servir de modèle pour sauver la planète, en enfermant les peuples dans une camisole électronique destinée à protéger la nature de leurs méfaits. Si l’on en croit les sondages, une majorité d’Occidentaux privilégient leur sécurité à la sauvegarde de leurs libertés. Voilà qui ouvre des perspectives prometteuses aux ambitions chinoises. Au-delà des avantages économiques déjà acquis grâce aux minerais stratégiques, le régime communiste veut promouvoir son modèle politique comme gage d’avenir pour la sauvegarde de la planète. Les pays en voie de développement sont sensibles à ces sirènes pékinoises. Le PC chinois compte sur le tropisme d’éco-autoritarisme pour s’incarner en sauveur de la Terre en danger. L‘écologie, cheval de Troie de la République populaire ? La question mérite d’être posée.* Journaliste et spécialiste du communisme, Thierry Wolton a cette année publié Le Retour des temps barbares (Grasset).



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Publish date : 2024-06-29 08:30:00

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