* . *
L’Express

Guerre en Ukraine : le rôle crucial des supporters de foot contre l’envahisseur russe

Les joueurs de l'Ukraine, qui affrontent la Belgique ce mardi 25 juin lors de l'Euro, célèbrent avec leurs supporters à l'issue de leur victoire face à la Slovaquie, dans le stade de Düsseldorf, en Allemagne.




Vitali Ovtcharenko se souvient de l’Euro 2012 de football (organisé en Ukraine et en Pologne) comme si c’était hier. Cela parait si loin pourtant… Ce militaire ukrainien était alors à Donetsk, « la ville au million de roses », où avaient lieu plusieurs matchs. Dans la Donbass Arena, inaugurée par Beyoncé trois ans auparavant, l’Espagne éliminait la France en quart de finale. « C’était une grande fête du foot. Pour notre ville, pour notre pays, c’était le symbole que l’Europe de l’Ouest nous faisait confiance et n’avait plus peur de l’Europe de l’Est », raconte Vitali par téléphone. Cet ultra du Chakhtar Donetsk, l’équipe locale, avait alors mis de côté les rivalités avec les autres clubs ukrainiens pour soutenir l’équipe nationale dans une sorte d’union sacrée derrière le drapeau bleu et jaune. »Nous avons choisi l’Ukraine sans hésitation »Deux ans plus tard, en février 2014, Donetsk n’est plus au cœur de l’Europe du foot, mais au cœur d’une guerre qui ne dit pas encore son nom avec la Russie. Alors que la révolution triomphe sur la place Maïdan de Kiev avec la destitution du président corrompu prorusse Viktor Ianoukovitch, dans le Donbass s’opposent les manifestants pro et anti-révolution. Ces derniers sont bientôt armés et soutenus par Moscou. Mais, fort de leur expérience de la baston contre d’autres fans ou la police, les ultras s’organisent pour protéger les manifestants pro-ukrainiens. « Nous, les ultras, avons choisi l’Ukraine sans hésitation », poursuit Vitali, alors résident de Donetsk, ville russophone. « Nous avions assisté à plein de matchs à l’ouest de l’Ukraine, où nous nous parlions le russe sans que cela pose le moindre problème. Nous savions donc que la propagande russe selon laquelle les russophones étaient en danger, c’était des conneries. Tout le monde, russophone comme ukrainophone, était ensemble derrière la sélection ukrainienne ! »Dans les rues de Lviv, des supporters ukrainiens et un militaire regardent jouer l’équipe nationale à l’Euro 2024. Il poursuit : « Quand les titouchkis [voyous payés par les forces prorusses] commençaient à frapper les manifestants, nous nous battions avec eux afin que les manifestants du Maïdan puissent s’enfuir sans danger », raconte-t-il. En avril-mai 2014, deux mois après l’agression de l’armée russe dans le Donbass et l’annexion de la Crimée, lorsque certains manifestants ont commencé à disparaître, beaucoup d’ultras ont rejoint les zones contrôlées par Kiev. « La raison pour laquelle nous avons perdu la guerre de rue en 2014 était qu’ils étaient prêts à nous tuer. Nous étions habitués à nous battre, mais pas à tuer. Nous ne voulions pas tuer qui que ce soit », raconte encore Vitali.Arrivé dans la capitale, des fans de la mythique équipe du Dynamo Kiev l’aident à s’installer. Des ultras, comme lui. Un an plus tôt, ils étaient prêts à lui casser la figure ; là, ils l’accueillent à bras ouverts. « Nous avions un ennemi commun : la Russie », dit Vitali qui, finalement, rejoint un bataillon de volontaires ultérieurement intégré à l’armée. Ayant échangé son maillot de supporter pour un treillis militaire, il se bat jusqu’en 2015, participant à la bataille de Debaltseve après laquelle il est démobilisé à cause d’une blessure. Mais en 2022, Vitali reprend du service pour défendre Kiev.Quatorze mois en captivitéTous clubs confondus, le réseau des ultras jouent un rôle majeur dans la guerre. Les supporters de foot sont en effet animés d’un fighting spirit incomparable. L’un des slogans les plus connus, « Poutine Khouïlo » [Poutine est un con] est d’abord né dans un stade. C’était un chant créé en 2014 par les fans du Metalist Kharkiv et du Chakhtar Donetsk. La phrase est devenue un cri de ralliement dans tout le pays.Alors que Vitali Ovtcharenko rejoint l’armée, Vladislav Ovtcharenko – même patronyme mais aucun lien de parenté –, lui, reste dans le Donbass. Promis à une belle carrière de footballeur, cet ultra du Zorya Louhansk, 17 ans à l’époque, est coincé avec sa famille par l’occupation russe. Trop jeune pour rejoindre l’armée, trop désargenté pour fuir. « La police, constituée de traîtres absolus vendus à la Russie, nous cherchait : ils avaient nos adresses, nos noms », se souvient le jeune homme qui porte un t-shirt aux couleurs de sa ville, lorsque L’Express le rencontre à Kiev. Avec ses amis ultras, souvent très jeunes, Vladislav commence à organiser la résistance de l’intérieur. »C’était assez spontané, raconte le jeune résistant. On cherchait juste à faire quelque chose. Nous avons affiché des slogans nationalistes dans la ville. Dès le début de l’occupation russe, j’ai ouvert un compte Twitter pour partager ce qu’il se passait dans le Donbass occupé et transmettre des infos à l’armée de Kiev à travers un réseau de sources pro-ukrainiennes », explique celui qui s’entraînait alors dans l’académie junior du Zorya Louhansk. L’équipe, comme celle du Chakhtar Donetsk, est depuis partie en exil, mais les autorités séparatistes contrôlées par la Russie ont monté deux équipes des « républiques populaires de Donetsk (DNR) et Louhansk (LNR) ». « On m’a proposé de les rejoindre ; j’ai refusé bien sûr », se félicite-t-il. En 2016, avec un ami, Vladislav arrache et brûle le drapeau de la LNR du stade de Louhansk en se filmant. Deux mois plus tard, il est arrêté. Vladislav passera quatorze mois en captivité.Vladislav Otcharenko, ultra du Zorya Louhansk et résistant dans le Donbass sous occupation en 2014-2016 devant le stade olympique de Kiev où il est en exillL’Euro comme plateformeLibéré lors d’un échange de prisonniers en décembre 2017, il vit désormais à Kiev où il travaille pour l’Association ukrainienne de football. Après avoir entendu son histoire, l’ancien président de la « fédé » lui a proposé un poste pour développer le football parmi les anciens combattants et les enfants déplacés. Dans la capitale, il donne rendez-vous devant le stade olympique, où l’organisation de matchs a été suspendue le 24 février 2022. Les matchs n’ont repris qu’en août de la même année, d’abord sans public, puis avec un nombre de supporters restreints. A chaque alerte aérienne, la partie est interrompue et tout le monde descend aux abris. Certains clubs régionaux ont également cessé de jouer pendant un an, tels le FC Marioupol dont la ville a été ravagée par les bombardements russes en 2022 ou le Desna Tchernihiv qui n’a plus de stade : il a été détruit par un tir de missile. Près de 500 infrastructures sportives ont ainsi été endommagées à travers le pays. Et plus de 400 sportifs ont été tués, indique le ministère des Sports.Un fan de l’équipe de football ukrainienne dans un bar de Lviv lors de la rencontre Roumanie – Ukraine, le 17 juin 2024. Alors que les hommes ukrainiens sont mobilisables pour la guerre, les footballeurs en sont exemptés. Ils sont considérés comme des représentants de l’Ukraine à l’étranger et ont donc le droit de quitter le pays pour participer aux compétitions. L’équipe nationale, elle, s’entraîne et dispute ses matchs à l’étranger. Après avoir été absente de la Coupe du monde 2022 au Qatar, le onze de l’Ukraine se félicite d’être qualifié pour l’Euro 2024 en Allemagne. C’est un immense symbole pour les habitants du pays en guerre. « L’Euro est une plateforme où notre équipe peut crier ; rappeler au monde que nous sommes en guerre ; que la Russie commet un génocide, » explique Vladislav, ému de voir le drapeau bleu et jaune flotter dans les tribunes allemandes. « Même pendant la guerre totale, le football ukrainien est toujours debout ; nous regardons tranquillement les matchs dans des pubs ; cela montre que nous sommes en vie. » L’émotion est la même pour Vitali, qui renchérit : « Je connais même des gens qui, dans Donetsk occupée, regardent les matchs de notre équipe nationale. En attendant la libération… »



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-le-role-crucial-des-supporters-de-foot-contre-lenvahisseur-russe-RFGRTMXFJBHWFGG7235JPTCSYA/

Author :

Publish date : 2024-06-26 07:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .