L’Express

Les dangers du Smic à 1 600 euros : « Ce ne serait pas un coup de pouce mais un coup de poing »

Boris Vallaud (d) et Eric Coquerel (g), membres du Nouveau Front populaire, lors d'une réunion entre le Medef et les chefs de partis et de coalitions avant les législatives, le 20 juin 2024 à Paris 




Marc Sanchez a l’impression de vivre un mauvais rêve… qui se répète. Comme la Nupes en 2022, le Nouveau Front populaire prévoit d’augmenter le Smic de 200 euros net, pour le porter à 1 600 euros, s’il arrive au pouvoir. Et ce, dans les quinze jours qui suivraient sa potentielle victoire aux élections législatives anticipées. « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les petits patrons », admet le secrétaire général du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI). Depuis la présentation du programme de l’alliance nouée entre le Parti socialiste, le Parti communiste, La France insoumise (LFI) et les écologistes, les organisations patronales et les chefs d’entreprise font feu de tout bois pour marteler leur opposition.Les membres du gouvernement, eux aussi, sont montés au créneau. Pour Bruno Le Maire, « ce serait une catastrophe » qui entraînerait un « chômage de masse ». Quant à Gabriel Attal, il assure que cette mesure détruirait pas moins de 500 000 emplois. Au sein des TPE et des PME, certains dirigeants prennent déjà les devants. « Dans notre dernière enquête, 22 % des chefs d’entreprise interrogés avaient la possibilité de recruter quelqu’un. Depuis une semaine et demie, on constate que toutes les embauches qui ne sont pas nécessaires sont stoppées », rapporte Marc Sanchez.Lors de leur grand oral devant le Medef, jeudi 20 juin, l’ancien président de la Commission des finances, Eric Coquerel (LFI) et le député sortant Boris Vallaud (PS), ont promis que rien n’allait changer pour les TPE qui seraient par ailleurs « compensées ». Sans préciser le mécanisme envisagé. Mais l’Etat, sous la menace d’une procédure pour déficit excessif de la part de la Commission européenne, pourrait-il se permettre ces largesses ? Indépendamment d’une possible compensation, « le coût de la revalorisation du Smic pourrait approcher les 4 milliards d’euros. On tend à oublier que l’essentiel des cotisations sociales ont été supprimées au niveau du salaire minimum. Avec une telle augmentation, une part croissante de salariés juste au-dessus du Smic seraient absorbés, ce qui réduirait d’autant le nombre de personnes contribuant, renvoyant sur le contribuable une charge accrue puisque l’Etat devra compenser les baisses de cotisations sociales », explique l’économiste Marie-Claire Villeval, ancienne membre du groupe d’experts sur le Smic.Un « coup de poing » plutôt qu’un « coup de pouce » ?Outre la hausse significative de 14,3 % du salaire minimum prévue par la coalition de gauche – la plus importante depuis la création de ce seuil en 1950 – c’est aussi la manière de procéder qui interroge. Plutôt que d’effectuer un mouvement progressif, le Nouveau Front populaire opterait pour une application immédiate. « Tous les changements brutaux sont toujours les plus dommageables d’un point de vue économique. On préfère les évolutions plus lisses et en douceur », fait remarquer Yannick L’horty, professeur d’économie à l’Université Gustave-Eiffel. D’après lui, « ce relèvement constituerait un virage radical, alors que nous sommes dans un contexte de modération du salaire minimum depuis quinze ans. On passerait d’une politique de soutien actif de l’offre à une politique de soutien de la demande. »Résultat, les petites et moyennes entreprises les plus fragiles pourraient être contraintes de licencier une partie de leurs employés pour tenir la cadence imposée par cette revalorisation ou d’arrêter d’investir. « Ce ne serait pas un « coup de pouce », mais un « coup de poing ». Cette augmentation brutale de 14 % serait certes une mesure populaire, mais aussi paresseuse, qui entraînerait un gros risque économique », assure Marie-Claire Villeval. Même constat pour Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, qui milite pour un entre-deux en appliquant cette revalorisation « sur trois ans, tout en lançant dans l’intervalle une politique d’incitation à destination des entreprises afin de réduire un certain nombre de salaires excessifs ».Le SDI, qui compte plus de 25 000 adhérents, a calculé que cette promesse de campagne coûterait 6 500 euros par an supplémentaires par salarié chaque année. Et la facture pourrait encore s’alourdir. « Il faut bien avoir en tête que lorsque vous augmentez le Smic, vous touchez directement à la grille salariale. C’est beaucoup plus compliqué que ce qu’il n’y paraît », rappelle Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la Confédération des petites et moyennes entreprises, qui craint un effet domino. « On peut alors imaginer que de nombreuses revendications s’ensuivraient afin d’obtenir des augmentations pour l’ensemble des salariés rémunérés juste au-dessus du Smic, alimentant une spirale inflationniste et renforçant le coût de la main-d’œuvre en France par rapport aux autres pays européens, tout en affaiblissant encore davantage notre compétitivité », abonde Marie-Claire Villeval. Un élément à prendre en compte, à l’heure où Emmanuel Macron espère relancer la compétitivité au niveau européen.La smicardisation de la France, le vrai problèmeCette revalorisation aurait néanmoins le mérite de stimuler la croissance. « Quand vous augmentez le Smic de 200 euros par mois, les salariés peu rémunérés ne vont pas épargner mais les dépenser. Cela peut avoir un effet macroéconomique en dopant la consommation », reconnaît Stéphane Carcillo, professeur affilié au département d’économie de Sciences po et chef de la division emploi et revenus de l’OCDE. En revanche, elle ne réglerait en rien le problème de la pauvreté en France. « Le Smic n’est pas un bon outil de réduction de la paupérisation. Les salariés qui en bénéficient ne sont pas nécessairement des personnes qui vivent dans des ménages pauvres. Ils sont souvent rattachés à des foyers où la deuxième personne a un revenu supérieur au salaire minimum », poursuit l’économiste. Selon lui, il faudrait plutôt s’appuyer sur des outils développés depuis une quinzaine d’années pour augmenter le revenu, sans provoquer une hausse du coût du travail comme la prime d’activité.En réalité, le Nouveau Front populaire évite ici de parler du vrai sujet qui fâche : la smicardisation de la France. Le nombre de salariés français touchant le Smic est passé de 12 % en 2021 à 17,3 % en 2023. La raison : le salaire minimum étant indexé sur l’inflation, il a rattrapé les bas salaires. « Comment peut-on accepter qu’une promesse électorale conduise à faire de la France le pays avec un cinquième de smicards ? Cela ne devrait pas faire rêver nos enfants… Notre objectif devrait être, bien au contraire, de créer les conditions économiques d’une réduction du nombre de salariés rémunérés au salaire minimum par la mobilité professionnelle et l’accompagnement de la sortie des emplois rémunérés au salaire minimum ! », s’emporte Marie-Claire Villeval. Une politique, il est vrai, plus complexe à mettre en place que la solution de facilité privilégiée par le Nouveau Front populaire.



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Author : Thibault Marotte

Publish date : 2024-06-22 09:00:00

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