L’Express

Alliances, vengeances et reniements : la folle semaine du Rassemblement national

Marine Le Pen et Jordan Bardella, le dimanche 9 juin 2024.




Dans toutes les bonnes histoires, il est toujours question d’un loup. La politique ne fait pas exception. La nôtre commence avec le Rassemblement national. Le parti d’extrême droite avait pris l’habitude, ces dernières années, de crier au loup. Réclamant une démission par-ci, une dissolution par là. Les élections européennes n’ont pas fait exception. Pendant sa campagne, Jordan Bardella avait bien demandé, en cas de victoire, la dissolution de l’Assemblée nationale. Ça ne mange pas de pain. Mais chez les frontistes, personne ne croit à son propre refrain. Chapitre 1 : Le parti qui criait au loupDimanche dernier, Marine Le Pen et Jordan Bardella pensaient encore pouvoir profiter de leur victoire, et se complaire dans le rôle du premier opposant jusqu’en 2027. Les cadres, donc, ont tous sursauté à l’annonce du président de la République, et ont précipitamment posé leur coupe de champagne avant de se carapater en vitesse direction le siège du parti : « On a du travail ! » Branle-bas de combat. »Heureusement, jure l’ancien secrétaire général de l’Assemblée Renaud Labaye, on était prêt depuis des mois. » Sur une idée originale de Philippe Olivier, beau-frère et conseiller de Marine Le Pen, le RN avait mis en place un « plan Matignon » en cas de dissolution. En clair : une liste de candidats, souvent les responsables des fédérations locales, prêts à être investis par le parti. « Tout le monde s’est bien foutu de notre gueule, y compris en interne, mais pour une fois Philippe Olivier a eu raison », raille un cadre. Le plan de com’ est simple : voter pour le RN, c’est envoyer Jordan Bardella à Matignon. Pas le temps de redescendre pour le jeune prodige de l’extrême droite, qui passe d’eurodéputé à potentiel Premier ministre en l’espace de quelques heures. Côté logistique, pour les candidats, c’est à peu près bon. Restent désormais les détails techniques, et surtout, le programme.Mais attendez. A situation exceptionnelle, négociations exceptionnelles. Pourquoi ne pas tenter d’attirer la droite dans ses filets ? Marine Le Pen est-elle retombée sur ses fables de La Fontaine avant de rencontrer Eric Ciotti ? « Quittez les bois, vous ferez bien, dit dans cette histoire le chien au loup. […] Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. » Chez La Fontaine, le loup refuse. Le président des Républicains, lui, n’est pas contre. Connu pour avoir multiplié les déclarations proches des idées du RN, il choisit finalement de passer le pas. Il est favorable, dans la perspective des élections législatives, à une grande coalition avec le Rassemblement national. Et met ainsi fin à cinquante ans de cordon sanitaire strict entre la droite et l’extrême droite. Les cadres de la droite s’étranglent. Psychodrame à Vaugirard. Les Républicains, plus habitués, ces dernières années, à l’odeur du formol qu’à celle du sang, implosent.Chapitre 2 : Entre chiens et loupsLa position d’Eric Ciotti est loin de faire l’unanimité mais permet au RN d’imposer son récit. Jordan Bardella se veut désormais le chef de file d’une grande alliance qui regrouperait sous sa bannière des cadres des Républicains. Qu’importe que la direction du parti de droite soit contre ou qu’Eric Ciotti ait été exclu de son propre parti. Au micro de BFMTV, ce vendredi, Jordan Bardella promet, sans plus de précisions, 70 « candidats communs » sous l’étiquette RN-LR. Le président des jeunes LR Guilhem Carayon (qui frayait déjà, en privé, avec les cadres frontistes et le parti d’Eric Zemmour), ainsi que son père, Bernard Carayon (un ancien du GUD, un groupuscule d’extrême droite), suivent le chemin d’Eric Ciotti, qui se démène pour trouver des candidats favorables à cette alliance.Nouvelle contrainte, toutefois, pour le RN. Il va falloir ajuster le programme. N’oublions pas qu’à droite, le principal argument anti-RN reste économique. « Marine Le Pen, cette socialiste », répètent encore à tort et à travers les pontes des Républicains. La volonté du parti lepéniste, par exemple, de revenir sur la réforme des retraites, en inquiète plus d’un. « Pas de problème, que des solutions ! » assure-t-on chez les frontistes. Exit, donc, la volonté d’abroger prioritairement la réforme des retraites. Jordan Bardella l’assure désormais : « Il y a les urgences et les réformes. » Dans la première catégorie se trouvent donc le pouvoir d’achat, la sécurité, l’immigration. Dans la seconde, les réformes, pourtant promises depuis des années par le parti de Marine Le Pen, qui n’interviendraient que dans un second temps dans l’hypothèse où Jordan Bardella serait nommé à Matignon.Pour rassurer de potentiels alliés, le RN publie sa nouvelle profession de foi, nettoyée de toute allusion à la question des retraites. N’y subsistent que huit mesures consensuelles « pour un gouvernement d’union nationale », « pour soutenir le pouvoir d’achat », « remettre la France en ordre », « stopper la submersion migratoire » ou « faciliter la vie des Français. » Au micro de BFMTV, ce vendredi, Jordan Bardella précise ses chantiers prioritaires. Si la promesse d’organiser un référendum sur l’immigration est abandonnée, il entend faire voter une « loi immigration », sans en détailler le contenu, qui aura pour objet de faciliter l’expulsion des délinquants étrangers et de supprimer le droit du sol. La seconde mesure concernerait la baisse de la TVA sur le carburant et l’énergie, via un projet de loi de finances rectificatives. Et la dernière, le vote d’une « loi sécurité » qui entendrait rétablir les peines planchers et supprimer les allocations familiales aux parents de mineurs récidivistes. Rien qui, selon le RN, pourrait attirer les foudres de la droite.Chapitre 3 : Le loup dans la bergerieIl reste un dernier front pour les frontistes. Une dernière occasion, plutôt, d’achever un adversaire qui lui volait dans les plumes depuis plus de deux ans maintenant : Eric Zemmour et son parti Reconquête. Et c’est Marion Maréchal, tête de liste pour les élections européennes de ce même parti, qui va initier l’implosion. Maltraitée depuis des mois par ses camarades, la nièce de Marine Le Pen a choisi de tendre la main à sa famille originelle, militant pour un accord entre les deux formations politiques. Des discussions ont eu lieu, dans le dos des zemmouristes, entre Marine Le Pen, Marion Maréchal et Jordan Bardella. Le RN, dans un premier temps, a agité la possibilité d’un accord de parti, avant de se raviser. Qu’importe, Marion Maréchal persiste, provoque une conférence de presse place du Palais Bourbon, entourée des vice-présidents du parti (tout juste élus eurodéputés) Nicolas Bay et Guillaume Peltier, pour annoncer qu’elle refuse de présenter des candidats contre la coalition frontiste, et prend ses distances avec Eric Zemmour.La raison invoquée ? Ce dernier aurait choisi de présenter malgré tout des candidatures dissidentes. « Mensonges ! » s’étouffe la zemmourie, qui dénonce une tentative de putsch. Le reste, comme tous les psychodrames chez les Le Pen, se passe sur la place publique. Par plateaux interposés, Eric Zemmour annonce l’exclusion de Marion Maréchal de Reconquête. « Madame Maréchal ment, s’exclame-t-il sur le plateau de BFMTV, mercredi. Je l’ai accueillie chaleureusement, comme ses trois compères en traîtrise que sont Nicolas Bay, Guillaume Peltier et Laurence Trochu. […] La vérité c’est que Marion Maréchal a négocié quelques places misérables pour ses amis et son clan au sien du RN. Ce n’est qu’une opération clanique de sauvetage de quelques copains et coquins qui sont autour d’elle depuis dix ans. » Cinq proches de Marion Maréchal, (Thibaut Monnier, Agnès Marion, Anne Sicard, Patrick Louis et Eddy Casterman) seront effectivement investis par le RN pour les législatives. Les autres membres de Reconquête, eux, seront laissés sur le carreau. Malgré les nouvelles mains tendues d’Eric Zemmour et de Sarah Knafo, l’entourage de Jordan Bardella le répète. « Il n’y a aucune chance d’accord. Aucune. » Chez ce qu’il reste de Reconquête, on serre les dents. « Le RN a utilisé Marion pour nous tuer », admet un cadre. Eric Zemmour, lui, se dit trahi, et doit amèrement regretter d’avoir fait entrer le loup dans la bergerie.



Source link : https://www.lexpress.fr/politique/rn/alliances-vengeances-et-reniements-la-folle-semaine-du-rassemblement-national-56F63WEDHFFTLB7MVPVJ2LQMM4/

Author : Marylou Magal

Publish date : 2024-06-14 17:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .