L’Express

« C’est catastrophique » : les grands projets santé mis en suspens avant les législatives

Beaucoup d'infirmières ont quitté l'hôpital après la crise du Covid, pour s'inventer une autre vie professionnelle




La dissolution de l’Assemblée nationale, provoquée par la défaite du camp présidentiel aux élections européennes, a d’abord sidéré la France entière. Elle laisse désormais place à une campagne législative débridée qui tient tout le pays en haleine par ses rebondissements incessants. En attendant, tous les projets en cours sont mis à l’arrêt, dont ceux du monde de la santé. Travaux parlementaires, Conseil national de la refondation en santé mentale (CNR), Assises de la pédiatrie, plan natalité, projets de loi… Tous sont, au mieux, suspendus jusqu’à l’élection, au pire, annulés et promis aux oubliettes. Il faudra attendre qu’une nouvelle majorité se dessine, si elle se dessine, pour y voir plus clair.L’exemple le plus emblématique est sûrement la grande réforme sociétale du second quinquennat d’Emmanuel Macron : le projet de loi sur la fin de vie. Aprement débattu depuis des semaines par les députés, il est finalement enterré, sacrifié sur l’autel de la dissolution. Car les nouveaux élus du 7 juillet ne seront pas ceux qui siègent aujourd’hui, et l’intégralité du travail mené sur le texte depuis le 22 avril tombera à l’eau. Seule option : le nouveau gouvernement devra inscrire le projet de loi à l’agenda parlementaire, ce qui impliquera quoi qu’il en soit de repartir de zéro, ou presque.La nécessaire réforme du système de soin en « stand-by »Le fait est marquant, mais loin d’être isolé. Il cache, surtout, un problème plus global. Car le système de santé français fait face, depuis des années, à une profonde mutation qui tend à transformer les hôpitaux en plateformes techniques de plus en plus spécialisées et à confier les missions de prévention à la médecine de ville. Ce qui nécessite de repenser en profondeur l’organisation de l’accès au soin. Si tous les acteurs du monde de la santé semblent d’accord pour réformer le système, la manière reste à imaginer. « Et il y a urgence, alerte Carine Milcent, économiste de la santé et chercheuse CNRS au laboratoire Paris Jourdan. Car l’hôpital ne parvient plus à effectuer ses missions et les praticiens ne veulent plus y travailler, quant à la médecine de ville – médecins généralistes, pharmaciens, infirmiers, etc. -, elle estime ne pas être suffisamment rémunérée, d’autant qu’on veut lui confier de nouvelles missions ». La première étape passe donc par des discussions, dont certaines ont été menées lors de différentes assises, quand d’autres devaient se tenir lors du CNR santé mentale, prévu le 12 juin mais finalement annulé, ou dans des commissions parlementaires. « Toutes ces réflexions ont été interrompues et remises à plus tard, au mieux. C’est catastrophique », insiste la chercheuse.Illustration avec l’un des débats centraux : la délégation des actes médicaux. Quels professionnels de santé doivent se saisir des actes – et lesquels – jusqu’ici réservés aux médecins ? « Une partie des réponses était prévue dans les réformes actuelles, et si quelques décrets ont été passés pour les sages-femmes, comme la simplification de la pratique d’IVG chirurgicales, et pour les infirmières, avec la possibilité de signer les actes de décès ou la possibilité d’effectuer de nouveaux vaccins, des extensions pour les pharmaciens (prescription d’antibiotiques), ou encore les ophtalmologistes, les kinésithérapeutes et les psychologues étaient en cours et sont désormais arrêtées », ajoute la chercheuse.Le bouleversement du métier d’infirmier devra attendreLes infirmiers, justement, attendaient avec impatience des précisions sur l’évolution de leur métier, notamment l’octroi de nouvelles responsabilités. « La nouvelle proposition de loi (PPL), qui devait être déposée cette semaine et modifier de manière extrêmement significative notre profession, est annulée », se lamente Sylvaine Mazière-Tauran, présidente de l’Ordre national des infirmiers. Le travail réglementaire qui devait accompagner cette proposition et qui devait être décliné en décrets du Conseil d’Etat et en arrêtés d’application est tout aussi caduc. Par effet de domino, la suspension de cette PPL remet en question la totalité de la réforme de la profession qui était attendue depuis des années. « C’est une très grosse déception, d’autant qu’il ne s’agissait que la première étape qui devait ouvrir les débats sur les spécialités (puéricultrices, etc.), mais aussi la réforme des formations qui devait être mise en place en septembre 2025, poursuit la présidente de l’Ordre. Il va falloir attendre la future Assemblée pour savoir si le projet est repris tel quel, modifié ou abandonné ».L’impact de la dissolution ne s’arrête pas là, puisque même si la loi Valletoux – qui doit répondre aux urgences du moment, dont la lutte contre les déserts médicaux – a déjà été votée, tous les arrêtés d’application qui permettent sa mise en œuvre ne sont pas encore passés. « Et notamment celui sur la primo prescription et l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA) sans passer par des médecins, ou sur la création d’une fonction d’infirmier référent pour les patients souffrant d’une affection de longue durée, ou encore le décret qui visait à autoriser les infirmières à prescrire des pansements sans ordonnance d’un médecin », ajoute Sylvaine Mazière-Tauran. L’Ordre et les syndicats d’infirmiers tentent désormais de plaider pour que les décrets en attente soient signés en urgence et que les arrêtés soient publiés. Sauf qu’ils ne sont pas les seuls et qu’il y a déjà embouteillage aux ministères.La santé mentale des enfants inquièteNombreux sont les spécialistes qui s’inquiètent aussi du sort réservé aux enfants en particulier dans le domaine de la santé mentale. Depuis 2020, plusieurs rapports et organismes nationaux alertent sur une augmentation des souffrances psychiques chez les enfants et adolescents. C’est l’une des raisons pour lesquelles des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant se sont déroulées. « Déjà qu’entre le rapport du comité d’orientation rédigé par les copilotes et les annonces ministérielles, très peu de choses ont été retenues, mais en plus, le ministère nous avait promis que tous les problèmes non traités le seraient lors du CNR… qui a été annulé ! », déplore Christophe Libert, le président de l’Association des psychiatres infanto juvéniles et copilote des Assises de la pédiatrie.Le médecin ne cache pas son « immense colère ». D’autant que la demande d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie date de plusieurs années et rencontre un quasi-consensus, aussi bien de la part des médecins que des associations de familles, des patients et même de la Cour des comptes et du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge. « Tout était là pour qu’on puisse enfin prendre les problèmes à bras-le-corps et revoir l’ensemble du système de santé de manière systémique, mais le projet tombe à l’eau et dépend désormais des élections », ajoute-t-il. Un drame, selon cet expert, alors que la santé mentale est l’un des postes de dépenses les plus importants et que la majorité des troubles mentaux prennent racine lors de l’enfance, et doivent donc être pris en charge à ce moment.La fertilité française renvoyée aux calendes grecquesLe grand plan national pour la fertilité, qui avait accueilli un très large consensus, va connaître un sort à peine plus désirable, puisque les recommandations du rapport fertilité, commandé par Emmanuel Macron, ne seront qu’en partie préservées. « Malgré la dissolution, le ministère de la Santé devrait saisir la Haute autorité de Santé pour accélérer la mise en place des consultations prégestationnelles qui visent à identifier les facteurs de risque 100 jours avant la mise en route d’un enfant, comme la consommation de café, d’alcool, de tabac, l’obésité, ou encore la pollution sur le lieu de travail, l’identification des perturbateurs endocriniens y compris dans le maquillage », explique le Pr Samir Hamamah, chef du service de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, gynécologue et coauteur du rapport. La consultation gratuite « check-up fertilité » pour les jeunes hommes et femmes devrait également être sauvée, même si l’âge auquel elle est possible doit encore être défini.Pour le reste, c’est l’inconnu. Le chapitre sur les préventions, qui vise à améliorer l’éducation et l’information au niveau individuel et collectif et qui prévoyait la mise en place d’une journée de prévention à l’école, est en suspens. Tout comme la mise à niveau des connaissances des professionnels de santé, qui devait concerner les médecins généralistes, mais aussi les sages-femmes et les IPA, afin de mieux repérer et diagnostiquer l’infertilité masculine, encore trop peu prise en charge. La création d’un Institut national de la fertilité, qui devait incarner, prioriser, et encadrer la bonne tenue des mesures, est lui aussi reporté. »Il y a pourtant urgence ici aussi : les études scientifiques montrent une baisse significative de la fertilité, détaille Samir Hamamah. En France, on est passé de 2,3 enfants par femme en 2010 à 1,68 aujourd’hui, alors que le seuil de renouvellement de la population se situe à 2,1″. Selon ce spécialiste, la problématique est d’autant plus grave qu’elle concerne tous les pays du monde. « A partir de 2060, la Terre entière sera, y compris en Afrique – ce qui est nouveau -, en dessous du seuil de 2,1 enfants par femme. La population mondiale est vieillissante et la politique nataliste doit être repensée, ce qui n’a rien à voir avec la droite et la gauche, mais concerne l’avenir de notre pays ».



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Author : Victor Garcia

Publish date : 2024-06-14 09:00:00

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