L’Express

Algérie, sources, rivalité avec les RG… Ces vétérans de la DST qui révèlent l’envers du renseignement

3806 Société Anti-terrorisme




Louis Caprioli et Michel Guérin incarnent un genre bien particulier d’hommes d’Etat : ceux qu’on croise au rayon surgelés du supermarché sans jamais se douter qu’ils détiennent un tombereau de secrets. Avec son association barbe-pull-over-veste de costume et son œil rieur, le premier pourrait facilement passer pour un maître de conférences en histoire. Le second, rasé de frais, a opté pour un élégant ensemble bleu caviar ; seule la rosette rouge sur le flanc gauche, synonyme de légion d’honneur, révèle qu’il n’exerce pas dans le contrôle de gestion. Comme prévu, ces deux septuagénaires joviaux passent totalement inaperçus dans la rédaction de L’Express, ce qui n’est pas pour les surprendre ou même leur déplaire, après une vie passée à cultiver la discrétion absolue. « La plupart du temps, les gens ne sauront jamais qu’on leur a sauvé la vie », sourit Michel Guérin.A les écouter, une évidence : le secret lie ses détenteurs comme une fratrie. Parfois, les deux anciens collègues semblent vous oublier, tout à leurs souvenirs complices d’une vie passée dans les affaires d’Etat : « Rondot, il est arrivé en quelle année, déjà ? » Une simple impression, probablement, tant on a affaire à deux professionnels de la manipulation humaine, dont le self-control est une seconde nature. Pendant plus de trente ans, ils ont été agents secrets au sein de la Direction de la surveillance du territoire (DST), le service de renseignement intérieur, prédécesseur de l’actuelle DGSI, jusqu’à y occuper les plus hautes fonctions.Dans le roman éponyme de Salinger, le héros, Holden Caulfield, imagine le métier d’ « attrape-cœurs ». Il s’agit d’empêcher les enfants de tomber d’une falaise près de laquelle ils jouent. Michel Guérin et Louis Caprioli ont été, précisément, les « attrape-cœurs » de la société française. A ceci près qu’eux couraient après les auteurs d’attentats. « On a couvert le terrorisme palestinien, puis le terrorisme d’Etat, le terrorisme islamiste, pour en arriver à ce qu’on appelle aujourd’hui le djihadisme », résume Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de l’antiterrorisme à la DST.Imbroglio AbdallahEn avril 1985, le policier se retrouve au centre d’un sérieux imbroglio entre la France et l’Algérie. Le directeur du service secret, Yves Bonnet, s’est rendu à Alger négocier la libération de Sydney Peyrolles, un Français enlevé au Liban, contre celle du militant révolutionnaire George Ibrahim Abdallah. Sauf que dans le même temps, l’équipe de Caprioli découvre une cache du groupe Abdallah à Paris avec, à l’intérieur, l’arme de deux meurtres, celui d’un diplomate israélien et celui de l’attaché militaire américain à Paris. Le marché est annulé. « Politiquement, ça a posé problème ! Le ministre ne nous a jamais crus, le directeur de la DST a été viré. On a dit que nous connaissions la cache depuis des mois. Moi, j’y vois la preuve que nous travaillions dans le respect de la loi et de la justice avant tout. »Des révélations comme celle-là, La DST sur le front de la guerre contre le terrorisme (Mareuil Editions), l’ouvrage que les deux policiers cosignent avec Jean-François Clair, qui fut lui directeur adjoint de la DST pendant dix ans, en fourmille. Qui savait qu’avant l’Euro 2000, les réseaux du djihadiste Adel Mechat projetaient un attentat contre l’équipe de France de football ? « Les terroristes recherchent le retentissement maximum. Les grandes manifestations sportives sont un objectif naturel pour eux », précise Michel Guérin, ex-sous-directeur de l’antiterrorisme à la DST, lui aussi, le seul du trio à avoir également exercé au sein de la DGSI. A un mois des Jeux olympiques, le raisonnement garde sa pertinence. Du 26 mai au 8 juin 1998, c’est-à-dire deux jours avant le début de la Coupe du monde de football en France, les agents du renseignement avaient arrêté 64 membres d’une cellule terroriste liée au GIA algérien, désireuse de frapper la compétition.Dakar 2000Du 2 au 16 janvier 2000, le rallye Paris-Dakar est lui suspendu en raison d’une menace d’attentat. La DST a déchiffré une conversation du réseau de Mokhtar Belmokhtar : les islamistes y égrènent des noms inconnus. « Le traducteur de la DST se rend compte que ces noms correspondent aux joueurs de l’équipe de football d’Algérie au mondial 1982. Chaque nom est lié à un numéro, la liste correspond en fait à un numéro de téléphone. C’est comme ça qu’on a découvert la menace », révèle Michel Guérin.Si les trois ex-dirigeants de la DST couchent aujourd’hui leurs souvenirs sur le papier, c’est autant pour laisser une trace que pour rectifier les erreurs colportées de longue date dans la presse, pas toujours informée des faits exacts, disent-ils. Le livre bat par exemple en brèche la théorie, diffusée en son temps par Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, selon laquelle les services secrets algériens auraient été complices des attentats du GIA, en 1995. « Je n’y crois pas du tout. Que le renseignement algérien ait eu des sources au GIA, c’est une chose, qu’il ait été complice, ça n’a rien à voir », argumente Louis Caprioli. « Il y a des choses fausses qui ont été écrites par les médias, désormais reprises par des chercheurs. On voulait rectifier. Et puis, nous avions envie de laisser un témoignage », poursuit Michel Guérin.Rivalité avec les RGL’ouvrage a été relu par la DGSI, qui n’y a pas vu d’inconvénient. Les auteurs se sont reposés sur leurs souvenirs, et sur ceux des membres de l’association des anciens du renseignement intérieur (Adari), qui encourage ses membres à transmettre leur expérience, afin que la mémoire du contre-terrorisme se perpétue. Cette participation alimente notamment d’intéressants passages sur les attentats liés à la guerre d’Algérie et les réseaux du FLN en France. On en lira en revanche assez peu sur l’activité de l’OAS, et plus globalement sur tous les groupes terroristes franco-français, comme les cellules corses ou Action directe : la DST a toujours été maintenue à l’écart de telles affaires, au profit de la police judiciaire ou des renseignements généraux (RG). « Les politiques pensaient qu’il était forcément bénéfique d’avoir deux services spécialisés plutôt qu’un. Nous pensons tous que ça a été une erreur, c’est pourquoi nous avons salué la création de la DGSI », indique Louis Caprioli.Plusieurs fois, les politiques ont cédé à la tentation de créer leur propre organe de renseignement. Pour le pire, disent Caprioli, Clair, et Guérin, sarcastiques sur l’amateurisme de la « cellule de l’Elysée » voulue par François Mitterrand pendant son premier septennat, comme sur celui de l’entourage de Charles Pasqua, ce qui se savait moins : en 1986, le ministre crée une petite cellule autour de lui qui recrute une source dans les groupes terroristes palestiniens… en fait un escroc au renseignement bien connu de la DST, jamais mise au courant de l’opération.La DST sur le front de la guerre contre le terrorisme développe la vision de l’institution, c’est pourquoi on n’y trouvera peu d’autocritique, notamment pas sur les deux scandales auxquels son nom est lié, il est vrai éloignés de la lutte contre le terrorisme : la pose ratée de micros au Canard enchaîné, en 1973, et le vrai-faux passeport confié à Yves Chalier, ex-conseiller ministériel bientôt en cavale, en 1986. « Ces deux affaires nous ont plombés, mais je peux vous dire qu’au quotidien, la DST était un service extrêmement républicain », plaide Michel Guérin.Les auteurs se font plus diserts sur les attentats que les services de sécurité n’ont pu éviter, souvent menés par une ramification d’organisations révolutionnaires arabes, dans les années 1970 et 1980. Pendant vingt ans, la bête noire du renseignement français se nomme Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos, insaisissable leader du Front populaire de libération de la Palestine, meurtrier de deux inspecteurs de la DST dans un appartement du quartier latin, en 1975. « Pendant toute cette période, on a été les seuls à s’intéresser à Carlos. Sans la DST, il n’aurait jamais été arrêté », fait valoir Michel Guérin.En août 1994, grâce au tuyau d’un « grand service étranger », écrivent les auteurs, les officiers du renseignement français interpellent le terroriste à Khartoum, au Soudan, sans mandat d’extradition. Selon l’historien Etienne Augris, auteur de Philippe Rondot, maître espion (Nouveau Monde), c’est le général Rondot, conseiller du directeur de la DST, qui a supervisé lui-même l’opération dans la capitale soudanaise. Un grand nom de la diplomatie secrète française auquel les trois anciens dirigeants français adressent une « pensée émue » dans les remerciements de leur livre. « Entre beaucoup de choses, le général Rondot nous a permis de nous rapprocher de l’univers du Quai d’Orsay qui nous était quelque peu fermé », se souvient Louis Caprioli.Sources terroristesL’action du haut gradé militaire, en lien constant avec des pays arabes parfois complaisants, si ce n’est plus, à l’égard de groupes armés, raconte l’histoire du terrorisme d’hier, soutenu par des Etats selon un mot d’ordre révolutionnaire. Un univers balayé par l’irruption du djihadisme. « Mais les ressorts restent les mêmes. Il faut disposer de sources de renseignement, à commencer par des sources humaines. Il n’y a aucune affaire réussie sans source humaine », expose Michel Guérin. Dans leurs recrutements de sources terroristes, les deux spécialistes avaient l’habitude d’utiliser les leviers de l’argent et de l’ »ego », en profitant des rivalités au sein de ces groupes. « Mais, attention, une source peut se retourner contre vous. Certains l’ont payé de leur vie. C’est très compliqué à gérer », poursuit l’ancien sous-directeur de la DST. Preuve, selon les auteurs, de l’expertise de la France sur le djihadisme, la CIA chargea la DST de fonder une alliance de renseignement anti-islamiste après le 11-Septembre.Une action aujourd’hui poursuivie par la DGSI, qui continue d’apporter son concours à de vieilles affaires. En avril 2023, le Libano-Canadien Hassan Diab, apparenté au FPLP, a été condamné en son absence à la perpétuité pour sa participation à l’attentat de la rue Copernic, en 1980. En février 2024, la cour d’appel de Paris a elle confirmé la mise en examen d’Abou Zayed, un Norvégien accusé d’avoir participé à l’attentat de la rue des Rosiers, en 1982, en tant que membre du groupe dit Abou Nidal. En 2019, Yves Bonnet a raconté avoir alors passé un accord avec Abou Nidal, assurant à ses réseaux une libre circulation en France à condition de ne pas y commettre d’attentats. Louis Caprioli assure qu’il s’exprimera sur le sujet lors du procès, s’il a lieu. Il y a des souvenirs qui se transmettent d’abord à la justice.



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Author : Etienne Girard

Publish date : 2024-06-12 16:56:25

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