L’Express

En entreprise comme ailleurs, tous les points de vue ne se valent pas, par Julia de Funès

La philosophe Julia de Funès, auteure notamment de "Socrate au pays des process" et "Le développement (im)personnel".




Dans l’idéal des bons sentiments et le règne de l’ultra doux, plus de place pour les affrontements, les joutes verbales et les points de vue qui s’écharpent. On ne cherche plus à contester l’adversaire par un raisonnement rigoureux qui souvent fait défaut, alors on capitule et on maquille sa faiblesse argumentative en force morale en clôturant le débat à grand renfort de clichés réconfortants : « à chacun sa vérité », « toutes les opinions se valent », « c’est votre vérité, pas la mienne », « il n’y a pas qu’une vérité », « chacun son point de vue » etc. Ces sentences convenues et rabâchées par les archontes de la communication non violente et leurs valets ont évincé l’esprit critique au nom d’une neutralité bienveillante et on écoute sagement le requiem de la pensée derrière ce relativisme des idées.Ces refrains relativistes partent a priori d’une bonne intention, celle de ne pas sombrer dans le dogmatisme, de relativiser chaque positionnement, d’élargir les points de vue et de faire preuve en cela de tolérance, de compréhension et d’indulgence. Mais comme souvent le bien est l’ennemi du bien… Et les bienfaiteurs qui prêchent cette bonne parole ne se doutent pas que sous des atours de mansuétude et d’ouverture d’esprit, le relativisme qu’ils catéchisent n’est au fond qu’un absolutisme immoral et faux.Le réel n’est pas qu’un kaléidoscope interprétatifAbsolutisme d’abord car la posture relativiste a quelque chose d’auto-contradictoire. « Tout est relatif » sauf la phrase qui l’énonce. « Tous les jugements se valent » sauf celui qui prétend que tous les jugements se valent. « Il n’y a pas de vérité » sauf celle-ci. Tout est donc relatif sauf le relativisme lui-même, imposé comme vérité absolue.Faux ensuite, car prétendre que tout est relatif au point de nier toute réalité objective est un faux raisonnement qui confond deux ordres : celui des faits et celui de l’esprit. Le réel n’est pas qu’un kaléidoscope interprétatif. Rappelons que si le sens que je donne à une situation est en effet relatif, les faits, eux, sont indépendants de mon esprit. Face à une même maladie, certaines personnes la vivront comme un abattement, d’autres comme un défi. La signification diffère d’une personne à l’autre. Mais la maladie demeure néanmoins un fait indépendant et incontestable. Il y a bien une et une seule réalité objective quand bien même de multiples manières d’appréhender cette réalité restent possibles. Autrement dit, le relativisme des points de vue ne doit pas abroger l’idée d’une réalité objective. C’est ce que nous enseigne l’histoire des sciences.Au XVIIe siècle, le mathématicien Christian Huygens disait que la lumière était composée d’ondes. Isaac Newton a ensuite réfuté cette théorie en affirmant que la lumière était un flot de particules. Enfin, Albert Einstein a rejeté ces deux théories en montrant que la lumière réunissait à la fois des propriétés d’ondes et de particules. C’est bien la preuve que les représentations ont beau être multiples, elles ne se valent pas. C’est aussi la preuve qu’une réalité objective existe derrière la multiplicité des représentations qu’on en a, puisque c’est cette réalité objective, l’épreuve des faits, qui décide de leur pertinence.Immoral, enfin, car si tout se vaut comment juger ? Si je considère un style de management néfaste face à quelqu’un qui le pense légitime, qui de nous deux aura raison ? Dans une logique relativiste, les deux points de vue se valent. Le relativisme neutralise moralement les appréciations. Inutile d’évaluer puisqu’à chacun sa vérité ! Ce relativisme axiologiquement neutre est exactement le contraire du perspectivisme qui juge et décide à partir d’une confrontation des différents points de vue. Le perspectivisme est la méthode qu’emploient les juges lors d’un procès, ou les médecins lors des réunions de concertation pluridisciplinaires par exemple. Aussi, ne confondons pas le perspectivisme et le relativisme. Le perspectivisme objective le subjectif, le relativisme subjective l’objectif. Pour l’un, le réel existe. Pour l’autre, ce n’est qu’un point de vue. Pour l’un, la pluralité des avis est une exigence, pour l’autre, c’est une équivalence. Si le perspectivisme est bien une vertu, le relativisme est un péril qui se prend pour une vertu.* Julia de Funès est docteur en philosophie



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Publish date : 2024-05-20 08:40:15

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