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Livres : Andrea Marcolongo, une hélléniste devenue passionnée de running

Livres : Andrea Marcolongo, une hélléniste devenue passionnée de running




8 mai, sur le Vieux-Port, à Marseille : muni de la flamme olympique, le rappeur Jul, star locale, allume le chaudron. Le lendemain, on interviewe Île Saint-Louis à Paris l’essayiste Andrea Marcolongo, qui nous raconte en souriant cette anecdote : « Au début je n’ai pas compris car je pensais qu’il s’agissait du Jul que je connais, l’auteur de bandes dessinées – il m’avait mise dans son livre 50 nuances de Grecs, en me représentant sous les traits d’une professeure très sévère. Je me demandais quand même pourquoi on lui avait proposé à lui de porter la flamme olympique, ce n’est pas un athlète… Puis j’ai vu les images et je me suis dit : mais enfin qui est ce monsieur, il ne ressemble pas du tout à Jul ! J’ai fini par réaliser ma méprise… »Installée à Paris depuis 2018, et parlant français couramment, l’Italienne Andrea Marcolongo reste étrangère à certaines avancées de notre culture. L’œuvre de Jacqueline de Romilly lui importe plus que les rappeurs à la mode. Rappelons qu’elle avait été révélée dans le monde entier en 2016 avec l’énorme succès de La Langue géniale. 9 bonnes raisons d’aimer le grec, manifeste en faveur du grec ancien. Avec Courir (Gallimard), elle continue de décrypter notre époque à la lumière de la vieille histoire. Se prenant pour le messager Philippidès, elle a ainsi couvert les 41,8 kilomètres reliant Marathon à Athènes, s’astreignant pour cela à une discipline de fer tout en étudiant le traité De la gymnastique de Philostrate, qu’elle cite souvent dans son livre. Les amateurs de running y trouveront matière à réflexion. Quant à nous, revenons au vrai point de départ du parcours d’Andrea Marcolongo : Florence, en 2013.Née en 1987, la jeune femme vient alors de finir ses études de lettres classiques et se demande quoi faire de sa vie quand un certain Matteo Renzi commence à faire parler de lui : « J’avais 26 ans et j’aimais la politique, au sens grec du terme. Renzi était maire de Florence et il incarnait à l’époque une vraie promesse de renouvellement de la classe politique italienne – je dis à l’époque car dix ans en politique ça correspond à un siècle dans la vie courante. Le monde que j’ai connu n’existe plus, ça a été éphémère au sens strict, quand j’y repense j’ai l’impression d’une bulle qui n’aurait duré que vingt-quatre heures… En 2013, avec mon diplôme en sciences humaines, c’était difficile de trouver un chemin, et Renzi était entouré d’intellectuels, il donnait de l’espoir, et envie de travailler pour lui. Pendant un an, j’ai été sa plume, collaborant à une petite équipe très peu coordonnée de conseillers parmi lesquels on trouvait aussi Giuliano da Empoli, encore inconnu. On est passé trop vite de l’échelle locale à l’échelle nationale. En un an, Renzi est devenu secrétaire du Parti démocrate puis président du Conseil des ministres. Dès 2014, je me suis rendu compte que la politique n’était pas ma voie : j’aimais écrire pour la politique, mais la réalité est bien plus compliquée que les mots… » »Quelle est cette folie collective ? »Andrea Marcolongo ne deviendra pas une adversaire éclairée de Giorgia Meloni. Un éditeur lui suggère de faire un essai sur la Grèce contemporaine, elle propose un livre sur le grec ancien : « J’ai écrit La Langue géniale pour la beauté du geste, comme une revanche. Depuis mes 14 ans on me disait que cette passion était inutile. J’avais presque 30 ans, je voulais rendre hommage au grec, repasser par nos racines. » Promis à une sortie confidentielle, le livre est tiré à 2 000 exemplaires. Mais ça ne se passe pas comme prévu : traduit dans une trentaine de pays, il se vendra à 500 000 exemplaires. La vie d’Andrea Marcolongo change du jour au lendemain : « J’étais convaincue que ça passerait inaperçu. La forme était hybride, mêlant la théorie et l’autobiographie. Je ne connaissais personne dans le milieu littéraire. Soudain, j’étais partout. J’ai énormément voyagé pour parler de mon livre ici et là. Au bout d’un moment, j’ai ressenti le besoin de prendre du recul et de me poser quelque part. J’ai choisi Paris. Je pensais ne rester que quelques mois et, six ans plus tard, j’y suis toujours. »C’est à Paris qu’elle a observé de ses fenêtres cet étrange phénomène de société : « Je voyais des gens qui sortaient courir par tous les temps et à toute heure, pendant la canicule ou sous la neige, à minuit ou à 5 heures du matin, avec une lampe frontale… Quelle est cette folie collective ? J’ai passé toute ma vie avec les pieds dans les chaussons, en train d’écrire et de lire, ou bien attablée en terrasse à prendre des verres. Avec mes amis, pendant mes études, on parlait de Platon, pas de sport. J’ai commencé à courir par pure curiosité, pour comprendre. » Comme Andrea Marcolongo nous le rappelle dans son livre, Dante était sceptique quant aux vertus du running. Dans L’Enfer, il fait de la course à pied un supplice infligé aux indécis : ceux qui, au cours de leur vie, n’ont jamais su se ranger du côté du bien ou du mal sont condamnés à cavaler éternellement, nus et sans but, attaqués par des vers, guêpes et autres insectes. Emil Zátopek lui-même, quatre fois médaillé d’or aux Jeux olympiques, disait qu’il n’avait « pas assez de talent pour courir et sourire en même temps ». Que penser de tous ces masochistes qui s’exposent en sueur et grimaçant ? « Dans la course il y a un désir, un besoin, et jusqu’à une dépendance. Chacun a une bonne raison de sortir courir, sauf que personne n’est capable de la définir précisément. On cherche un bien-être car on se sent très vivant quand on court, mais on le fait sans doute aussi pour échapper au malheur. Que fuient tous ces joggeurs qui s’infligent cette punition ? Cela nous ramène à la vision de Dante dans L’Enfer : une foule de pécheurs en train d’expier chacun leurs propres fautes. »Nourri par l’Antiquité (Philostrate) et le Moyen Age (Dante), Courir fait aussi des clins d’œil à Autoportrait de l’auteur en coureur de fond de Haruki Murakami (« le livre littéraire de référence sur le sujet ») et à Open du tennisman Andre Agassi (sans doute les meilleurs Mémoires jamais écrits par un athlète de haut niveau). Depuis qu’elle a couru le marathon, Andrea Marcolongo a momentanément arrêté le sport pour avoir un enfant, âgé de cinq mois. Coauteure avec Patrice Franceschi et l’amiral Loïc Finaz du livre Le Goût du risque (Grasset, 2023), elle est vice-présidente de l’association des Ecrivains de Marine, où l’on trouve, outre Franceschi, leur ami commun Sylvain Tesson. Quand on lui demande si elle préfère l’aventure ou les idées, elle nous répond du tac-au-tac : « L’aventure des idées. » A Paris, Andrea Marcolongo a renoué avec Giuliano da Empoli (« un ami très cher »), lié comme elle à l’ambitieuse revue Le Grand Continent. Compliqué de savoir dans quelle direction elle ira maintenant : « Je ne pensais jamais écrire un jour un livre tel que Courir. Si on m’avait dit ça il y a quelques années, j’aurais éclaté de rire ! Pour la suite, tout est possible… »Au vu des fréquentations de la marathonienne intello, on imagine que les médias la classent plutôt à droite. Ces étiquettes ont-elles un sens pour l’ancienne plume du Parti démocrate italien ? « Quand vous aimez le grec ancien, on vous dit que vous êtes du côté du passé, du conservatisme et de l’élitisme, donc de la droite. Mais vouloir transmettre cet héritage au plus grand nombre, n’est-ce pas de gauche ? » On rêve d’un monde où le rappeur Jul s’inspirerait des livres de Jacqueline de Romilly pour écrire ses paroles. Tout demeure possible avec le grec ancien.Courir. De Marathon à Athènes, les ailes aux pieds, par Andrea Marcolongo. Gallimard, 244 p., 22 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2024-05-18 10:00:00

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