L’Express

Poutine, ses folles promesses nucléaires en Afrique : au coeur de la machine de propagande russe

Vladimir Poutine accueille, jeudi 27 juillet, ses partenaires africains à Saint-Pétersbourg pour un sommet Russie-Afrique.




Dans les chancelleries africaines, il est connu comme le loup blanc. Costume sombre, lunettes sans monture, demi-sourire : le grand manitou du nucléaire russe Alexeï Likhachev, patron du groupe public Rosatom et vieux compagnon de route de Vladimir Poutine, enchaîne ces derniers mois les séances photo avec les officiels africains. Ici avec le ministre éthiopien de l’Innovation, là avec son homologue rwandais en charge des Infrastructures, ailleurs encore avec la ministre malienne de l’Energie. Entre leurs mains, le même dossier estampillé Rosatom, renfermant une mystérieuse « feuille de route » pour fournir à ces Etats le graal : l’énergie nucléaire. La promesse d’un avenir radieux pour un continent encore largement privé d’électricité. Plus de 600 millions d’habitants n’y ont pas accès, soit les deux tiers de la population. Autant de cœurs à conquérir pour Moscou, en pleine opération séduction dans cette région.Premier vendeur d’armes en Afrique, parrain de l’Etat centrafricain et de trois juntes au Sahel via ses mercenaires de l’Africa Corps (successeur de Wagner), le régime de Poutine étend à toute vitesse son emprise sur le continent, chassant un à un les anciens partenaires occidentaux. « La Russie n’est pas encore arrivée à ses objectifs d’influence, analyse Lova Rinel, chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique. La diplomatie de l’atome lui offre une autre porte d’entrée, par le ‘soft power’. Dans le discours panafricain, le rêve nucléaire est intimement lié à la lutte anticoloniale : puisque la France est devenue une puissance nucléaire grâce à l’uranium du continent, l’accès de ces Etats au club nucléaire est perçu comme une juste réparation. La Russie joue volontiers sur cette corde sensible. »Le « piège de la dette » version PoutineEn dix ans, une vingtaine de pays ont signé avec Rosatom des accords de coopération nucléaire proposant la formation d’ingénieurs, la fourniture de réacteurs de recherche, voire la construction de centrales. Du moins, sur le papier… Le n° 1 mondial du nucléaire redouble d’activisme depuis le début de l’invasion en Ukraine, en quête de nouveaux amis et de marchés à prendre pour résister aux sanctions occidentales.Pour appâter le client, le Kremlin affiche une générosité insolente. « Dans certains pays, 100 % du financement est fourni par la Russie », assure, sans plus de détails, Vladimir Poutine en mars 2023. Produit phare du « catalogue » russe, la centrale égyptienne d’El-Dabaa, quatre réacteurs en cours de construction pour une puissance attendue de 4 800 mégawatts. « Le plus grand projet de coopération russo-égyptienne depuis la construction du barrage d’Assouan » (dans les années 1960), claironne Alexeï Likhachev. L’ouvrage, appelé à devenir la deuxième centrale du continent après celle de Koeberg, en Afrique du Sud, est financé à 85 % par un prêt d’Etat russe. « L’Egypte a emprunté 25 milliards de dollars, qui doivent être remboursés sur trente-cinq ans à un taux d’intérêt annuel de 3 % », indique Alex Vines, directeur du programme Afrique de la Chatham House. En clair, Le Caire est pieds et poings liés à la Russie pour les trente-cinq prochaines années ! » Une version slave du « piège de la dette » pratiqué depuis des années par la Chine.Mais les Russes ne misent pas seulement sur les remboursements à venir. « En Egypte, ils s’y retrouvent grâce à des accords industriels et militaires. Ailleurs, c’est en minerais qu’ils comptent se rémunérer », complète Lova Rinel. L’accord signé fin 2023 avec le Mali prévoit par exemple « l’exploration de minéraux et la production d’énergie nucléaire ». Les paramilitaires russes y exploitent déjà des mines d’or, comme en Centrafrique ou au Soudan. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’or africain de Wagner a rapporté 2,5 milliards de dollars, d’après le rapport d’un groupe d’experts indépendant, The Blood Gold Report, publié en décembre dernier. Soit 2 % du budget de la défense russe en 2024.Pas étonnant, dans ces conditions, que le Kremlin s’active tous azimuts pour vendre son « miracle nucléaire » au continent ! En marquant, au passage, des points dans les opinions publiques. « La question énergétique est au cœur des préoccupations en Afrique, dont la population va doubler d’ici à 2050, observe Hartmut Winkler, professeur de physique à l’université de Johannesburg. Quel citoyen n’aspire pas à avoir de l’électricité toute la journée, dans un délai record ? Ce serait formidable… si seulement c’était réaliste ! »Effets d’annonceLe cas du Burkina Faso, dirigé par le capitaine putschiste Ibrahim Traoré, a récemment fait bondir cet expert. En octobre 2023, le gouvernement annonce la construction d’une centrale nucléaire en partenariat avec la Russie. « Nous pensons pouvoir démarrer le processus de construction au plus tard en 2025 », déclare cinq mois plus tard le ministre de l’Energie, Yacouba Zabré Gouba. Dans ce pays où moins de 3 habitants sur 10 ont le courant, l’Etat veut doubler la production d’énergie à l’horizon 2030. « Mission impossible », soupire Hartmut Winkler. « Le lancement d’un programme d’énergie nucléaire est une entreprise majeure qui nécessite une planification minutieuse. Il implique de dix à quinze ans de travaux préparatoires et un engagement pour une centaine d’années », précise l’Agence internationale de l’énergie atomique. Inimaginable dans le contexte actuel du Burkina Faso, confronté à une instabilité chronique, et dont 40 % du territoire échappe au contrôle de l’armée, sous la menace de groupes djihadistes. »Ni les Russes ni leurs partenaires ne sont dupes. C’est là la force de Vladimir Poutine : il cible des leaders autoritaires qui se fichent d’obtenir des résultats, poursuit Lova Rinel. Leur seule obsession est de se maintenir au pouvoir. » Cela tombe bien, le Kremlin met aussi à leur disposition une garde prétorienne. Au Burkina Faso, des hommes de l’Africa Corps ont pris leur quartier en décembre dernier à une vingtaine de kilomètres de la capitale.Sur le flanc est du continent, en Ouganda, l’inamovible président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, promet monts et merveilles à sa population grâce à la construction de deux centrales nucléaires à l’issue d’un accord avec la Russie et la Corée du Sud. Un projet pharaonique censé produire 15 000 mégawatts d’électricité, dix fois plus que la production actuelle, à la mise en service promise pour 2031. Intenable en l’état actuel du réseau d’électricité du pays. Sans parler de tous les sujets en suspens, et pas des moindres : cadre réglementaire, circuit de gestion des déchets radioactifs… »En réalité, les Etats en capacité d’accueillir une énergie nucléaire sont peu nombreux en Afrique, explique Lova Rinel, également commissaire, en France, à la Commission de régulation de l’énergie. Outre l’Afrique du Sud qui possède déjà une centrale, l’Egypte qui en construit une après des années de préparation, le Nigeria et le Ghana sont les plus avancés. » Eux aussi ont signé avec le géant de l’atome russe au début des années 2010. Mais un autre acteur est, depuis, entré dans la danse : la Chine. Le patron de la Compagnie nucléaire nationale (CNNC), qui coopère déjà avec le Kenya et l’Afrique du Sud, a paraphé le 23 avril dernier un protocole-cadre pour bâtir au Ghana un réacteur HPR-1000 (Hualong One) d’une puissance de 1 100 mégawatts. Et l’empire du Milieu ne compte pas s’arrêter là, d’autant que les puissances nucléaires occidentales ne se bousculent pas sur ce marché. Entre Moscou et Pékin, « l’amitié sans limites » célébrée en 2022 n’empêche pas une compétition sans bornes.



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Author : Charlotte Lalanne

Publish date : 2024-05-12 08:45:00

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