L’Express

« Pestacle » prendra-t-il un jour la place de « spectacle » ? Voyage dans le monde étonnant de la métathèse

lettres mots dans le désordre illustration




Certains vont encore dire que je profite de la moindre occasion pour parler de mon bien-aimé Béarn, mais tant pis, j’assume. Est-ce ma faute aussi si, au cœur de paysages sublimes, l’on y produit l’Ossau, l’un des meilleurs formages de berbis du monde ?VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR CHAQUE SEMAINE CETTE LETTRE D’INFORMATION ? >> Cliquez iciOh j’en vois déjà qui se gaussent et assurent, péremptoires, que j’aurais commis deux erreurs dans la phrase précédente. Qu’ils se méfient, car l’étymologie plaide en ma faveur. « Fromage » est issu en effet du latin formaticus – et non fromaticus -, pour la bonne raison que tout fromage est « fabriqué dans une forme » (d’où les « fourmes » d’Ambert et de Montbrison). Quant à « brebis », il est l’héritier du latin populaire berbix – et non brebix. D’ailleurs, « berbis » et « formage » se rencontraient fréquemment dans les écrits du Moyen Age, alors, hein, camembert !Les linguistes ont donné à ces chamboulements le nom savant de « métathèse » (du grec metáthêsis « déplacement, permutation »). Un phénomène auquel, au demeurant, on a trouvé une origine toute simple. Un individu, un jour, modifie une prononciation pour la rendre plus commode. Il suffit ensuite que sa trouvaille soit validée par les locuteurs présents autour de lui pour que ce nouvel ordre devienne peu à peu la règle commune. La graphie en tire par la suite les conséquences avec ces lettres voyageuses qui, à leur tour, changent de place au sein des mots.En voici d’autres illustrations :Moustique n’est rien d’autre qu’une adaptation fautive du castillan mosquito (petite mosca, « petite mouche »). Il est possible, avancent les experts, qu’il faille y voir l’influence de la tique, autre bestiole qu’on croirait inventée pour nous gâcher la vie !Espadrille. Cette chaussure à semelle de corde tire son nom du latin spartum (« jonc servant à faire des nattes »). Une étymologie à laquelle le gascon espartègne et le catalan espardenya sont restés fidèles tandis qu’en français, le [r] et le [d] ont été inversés.Ecrabouiller a remplacé « écarbouiller » assez récemment puisque ce mot figurait encore sous cette apparence dans le premier dictionnaire de Pierre Larousse, publié en 1871. Il a sans doute pris les contours que nous lui connaissons sous l’influence d’ »écraser », dont il renforce l’intensité. Et pour cause. Ne nous arrive-t-il pas, chaque été, d’avoir furieusement envie d’écarbouiller ces satanés mousquites à grands coups d’espardilles ?Cagibi est issu du terme normand cabigi – où le [b] est placé avant le [g] – et cela est logique puisque ce mot signifie « cabane modeste ». C’est en arrivant à Paris qu’il a subi une transformation pour déboucher sur sa présentation actuelle. Comme quoi le normand n’est en rien du français déformé, comme le soutiennent certains ignares. Dans ce cas précis, ce serait même plutôt l’inverse…Crocodile. Jusqu’au XVIIe siècle, il était courant de rencontrer en français le terme cocodrille. A noter cependant que l’on a assisté dans ce cas précis à une sorte de retour aux sources puisque ce mot est issu du grec krokodilos, lui-même à l’origine du latin classique crocodilus, lequel dériva plus tard vers la forme cocodrillus. Un cas rare de « contre-métathèse », si vous me pardonnez ce néologisme, même si les esprits malicieux diront que c’est caïman la même chose…Farouche. Ici, ce sont les voyelles qui ont eu des fourmis dans les jambes. Farouche correspond en effet à l’évolution de l’ancien forasche, qui signifiait « sauvage » (d’après le latin forasticus, « étranger », « extérieur »).Gourmet, quant à lui, est la forme contemporaine de l’ancien groumet, le « valet chargé de conduire les vins ». L’évolution s’explique soit par l’attraction de l’adjectif « gourmand » (hypothèse des scientifiques) soit par le penchant trop prononcé dudit groumet pour la dive bouteille (théorie toute personnelle).Ne croyez surtout pas que la métathèse relève exclusivement de l’histoire ancienne car le phénomène se produit encore aujourd’hui. Non seulement de nombreux enfants disent pestacle au lieu de « spectacle », mais bien des francophones confondent « infarctus » et infractus ; « aéropage » et aréopage ; « hypnotiser » et hinoptiser ; « rémunérer » et rénumérer… Autant d’usages stigmatisés car relevant du registre populaire, mais dont rien ne dit qu’ils ne deviendront pas la norme de demain, à l’exemple de leurs devanciers cités plus haut.Cela dit, l’ordre des lettres est-il vraiment si important ? Au risque de surprendre, cela n’est pas si certain, comme le montre ce texte humoristique cité par l’excellent site Projet Voltaire. « Sleon une édtue de l’Unvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dnas un mot n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soeint à la bnnoe pclae ». Il semblerait en effet que le cerveau humain ne lise pas chaque lettre une à une, mais embrasse un ou plusieurs mots à la fois.Farpaitement !RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR ma chaîne YouTubeSources :– Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Editions Le Robert– Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes, par Simin Palay. Edicions Reclams– Les secrets des mots, par Jean Pruvost, Editions Librairie Vuibert.– Mots et expressions de Pierre Larousse. Editions Larousse.– Bizarre, vous avez dit bizarre ?, par Françoise Nore, Les Editions de l’OpportunÀ LIRE AILLEURSAcadémie française : l’exemple espagnolAprès mon infolettre s’étonnant de l’absence de linguistes à l’Académie française, j’ai reçu de mon confrère québécois Jean-Benoît Nadeau un article consacré à son homologue madrilène. Où l’on apprend que l’Académie royale espagnole est composée d’une majorité de linguistes. Et que – ceci explique peut-être cela – le monde hispanique fait évoluer régulièrement ses règles orthographiques.Une résolution pour promouvoir le français aux JOEncourager l’emploi du français lors des conférences de presse, dans la communication et dans les documents d’arbitrage : telles sont quelques-unes des mesures figurant dans la résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 2 mai. Objectif : promouvoir l’usage de la langue française aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.Doit-on interdire l’appellation steak végétal ?Non, répond avec humour cet article écrit d’une plume alerte en réaction à un amendement débattu à l’Assemblée nationale visant à défendre l’élevage bovin. Ou alors, ironise-t-il, il faudra prohiber dans le même élan les chips de betterave, les rillettes de thon et les tomates cœur-de-bœuf…Quand le Parlement européen promeut l’écriture inclusive en FranceSurprise ! Alors que des directives du gouvernement interdisent l’utilisation du point médian dans les actes officiels, celui-ci est utilisé par le Parlement européen dans des documents adressés aux électeurs français.La véritable histoire de l’arobaseJ’ai consacré voilà quelque temps une infolettre aux origines de cet étrange petit caractère devenu l’un des symboles d’Internet. 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Une manière de montrer l’attachement de la population à sa culture historique.Le cinquième concours de chansons en alsacien et en platt est lancéL’Office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle (OLCA), France Bleu Elsass et France 3 Grand Est lancent la cinquième édition du concours de chanson en alsacien et en platt d’Stìmme.Il s’adresse à tous les artistes, amateurs et semi-professionnels, à la double condition de chanter dans l’une des langues régionales d’Alsace et de Moselle, et de n’avoir jamais sorti d’album. Les inscriptions sont possibles jusqu’au 21 mai.Participez aux rencontres de SalinellesLes Rencontres de Salinelles (Gard), consacrées à la littérature et à la création d’oc actuelles auront lieu les 24, 25 et 26 mai. Au programme : théâtre, concerts, lectures, conférences et même siestes poétiques !À REGARDERPetite histoire de l’esperluetteDe nombreuses marques utilisent dans leur dénomination ou leur logo ce signe figurant la conjonction « et ». Cette vidéo très pédagogique retrace l’histoire de ce caractère longtemps considéré comme la 27e lettre de notre alphabet.RÉAGISSEZ, DÉBATTEZ ET TROUVEZ PLUS D’INFOS SUR LES LANGUES DE FRANCE SUR la page Facebook dédiée à cette lettre d’information.



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Author : Michel Feltin-Palas

Publish date : 2024-05-07 06:30:00

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