L’Express

Maladie de Lyme : les affolantes prescriptions du Dr Bransten

Le Dr Marc-Mickaël Bransten a été radié par l'Ordre des médecins pour plusieurs ordonnances farfelues délivrées à différents patients.




Au cœur de l’affaire, il y a ces feuilles de papier. Format A4. Vingt-cinq lignes tapées à l’ordinateur, puis annotées à la main. La longueur d’une liste de courses. Sauf qu’à la place des fruits et légumes, on déchiffre les noms de toutes sortes de pilules. Quatre antibiotiques, des corticoïdes, des antifongiques, des antiviraux et de l’hydroxychloroquine. A avaler ou à injecter, matin, midi, soir. Les molécules sont puissantes, on les donne d’ordinaire unes à unes et seulement contre les maladies les plus agressives.A la lecture de ces documents, les pharmaciens de Seine-Saint-Denis s’étouffent. 25 médicaments par jour, et par personne ? Ce sont eux les premiers à lancer l’alerte, en 2018, sur ces ordonnances. Elles couraient sur leurs comptoirs, toutes estampillées du même cabinet. Les officines les envoient au conseil départemental de l’Ordre des médecins, qui les trouve « délirantes ». La chambre disciplinaire, des juges en blouse blanche sous leur robe noire, s’en saisit. Cette juridiction, interne à la corporation, vient, le 13 avril dernier, de prononcer la radiation de leur auteur.Toutes étaient tamponnées d’un « Marc-Mickaël Bransten ». Un généraliste qui prétendait guérir la borréliose de Lyme, une maladie qui attaque le cerveau et les nerfs, transmise par les tiques. Un véritable problème de santé publique : 47 000 cas ont été recensés en 2021. Avec toutefois une part de mystère : la médecine peine à répondre aux cas dits de « longue durée » qui sont parfois rapportés par les patients. Le généraliste avait fait de cette énigme sa « spécialité ». Persuadé de l’avoir résolue, il jouait au petit chimiste depuis son cabinet, à Drancy, au nord-est de Paris. »Les médicaments m’ont grillé le cerveau »Pendant des mois, Elodie Weaver gobe tout. Gélules et boniments. Avant que le Dr Bransten ne lui tende ses prescriptions, en 2017, cette quadragénaire, cheveux et yeux noir de jais, enchaînait les consultations infructueuses pour des douleurs diffuses. On lui explique qu’elle somatise, qu’il n’y a rien à faire. Des proches lui recommandent de toquer « chez Bransten ». Celui-ci l’abreuve de certitudes. Avec un tel cocktail, impossible de rester malade, non ? « Les médicaments m’ont grillé le cerveau. Il a détruit ma vie », raconte-t-elle en claudiquant dans ce sous-sol d’un bâtiment administratif de l’Ordre, à Paris, où s’est tenue l’audience en février.Dans son sang, les médicaments se mélangent, interagissent entre eux. « Un matin, je me suis réveillée à moitié sourde. Un autre, quasiment aveugle », témoigne la jeune femme. Ses nerfs et ses muscles périclitent. Elle développe une inflammation du cerveau, souffre de confusion. Sa thyroïde, son utérus et son iris ne fonctionnent plus. Des chirurgiens les lui retirent. « Je pensais qu’il savait ce qu’il faisait ! C’est un médecin, pas un naturopathe », dit-elle, livide, à la barre. Les effets secondaires sur les notices avaient pourtant de quoi inquiéter : diarrhées, hallucinations, atteintes d’organes… Ces traitements ne doivent jamais durer plus de 30 jours. Elodie les suivra pendant six mois.Les docteurs de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges qui l’ont pris en charge après le Dr Bransten ne voient que cette soupe de produits chimiques pour expliquer son état, une dégradation généralisée proche de l’empoisonnement. Comme elle, des dizaines d’autres malades ont reçu les mêmes ordonnances, au médicament près, comme si le Dr Bransten testait une recette. « Si je suis ici, c’est pour que plus jamais cela ne se reproduise, que plus personne ne profite des patients les plus fragiles », ajoute Élodie, les larmes aux yeux devant la cour. Elle espère désormais renvoyer « (son) bourreau » devant la « vraie » justice, celle qui peut mettre en prison.Une forêt d’avis alternatifsEn cas de maladie de Lyme, deux antibiotiques sont indiqués. Pas plus. Une marche à suivre qui figure dans une recommandation de la Haute autorité de santé. Édicté en 2018, ce document marque une forme de reconnaissance. Jusqu’à cette date, l’existence même de cette infection, y compris ses formes courtes, était vivement débattue. Fatigue, maux de tête… Ses premiers symptômes sont très courants, ce qui complique le diagnostic. Sur ce flou – « désormais dissipé », rappellent les avocats de l’Ordre – ont poussé toute une forêt d’avis alternatifs.Le traitement maison du Dr Bransten est de ceux qui n’ont jamais fait leurs preuves. Il se base sur ses « lectures », des travaux de recherche puisés dans la littérature scientifique certes, mais qui ne peuvent être utilisés sur des patients. La médecine de ville et la recherche sont deux domaines distincts. Lui piochait dedans, comme un cuisinier devant des étals. « Allez-vous continuer comme ça ? », lui demande un assesseur. « Oui », assure-t-il, avachi. En face de lui, Hippocrate veille, le buste bien en évidence, au milieu d’une bibliothèque – c’est en reprenant le serment de ce savant grec que les étudiants en médecine jurent leur intégrité.Interrogé par L’Express sur sa radiation, Marc-Mickaël Bransten renvoie la cour à des « minus ». En substance : des obstinés, incapables de comprendre son œuvre. La recherche, l’histoire même, lui donnera raison, il en est persuadé. Il a même écrit une lettre à l’ancienne ministre de la Santé (2017-2020) Agnès Buzyn, pour lui faire part de ses « découvertes ». Pourquoi alors ne pas avoir lancé des études en bonne et due forme ? Celles-ci auraient pu prouver l’intérêt de ses remèdes. « Je suis là pour sauver les gens », balaie-t-il. Il compte faire appel.Sauver le « méchant docteur »Ses patients les plus fidèles ont lancé une pétition pour tenter de sauver leur messie de la crucifixion. « Un à un, les « Lyme Docteurs » se voient interdire de pratiquer, alors qu’ils sont les seuls à poser le bon diagnostic, être à l’écoute des patients et à proposer un traitement », indique son auteur sur la plateforme Change.org. L’initiative a récolté le soutien d’un petit millier de signataires. Beaucoup moins qu’une précédente, lancée voilà 6 ans. Celle-là, 100 000 personnes l’avaient signée. Autant de soutien, même étiolé, n’est-ce pas la preuve qu’il a raison et que son approche risquée en vaut la peine ?L’affaire rappelle tous ces médecins trahis par leur ego, et dont l’Ordre a eu du mal à se départir ces dernières années. Ces Luc Montagnier ou ces Christian Perronne, aussi, deux scientifiques renommés, qui se sont eux aussi empêtrés, entre autres, dans des positions controversées sur la maladie de Lyme. Le Dr Bransten s’y réfère devant le conseil de l’Ordre, les réhabilite même, sans aller jusqu’à les nommer, conscient que cela jouerait contre lui. Le praticien se pense victime d’un règlement de compte. C’est bien connu : l’esprit d’initiative qui anime les médecins « de terrain » dans son genre dérangerait en haut lieu, où on ne jurerait que par les procédures.Son avocat se lève. Il entame, haut et fort : « Aujourd’hui, c’est le procès de la maladie de Lyme ». La science ne se fait pourtant jamais dans les tribunaux, il le sait bien. Ici, on ne juge que la pratique de la médecine, rappelle un des membres de la cour, en lui demandant d’abréger. Le « méchant docteur » — Marc-Mickaël Bransten emploie lui-même ce sobriquet — est-il en mesure de démontrer l’intérêt médical de son cocktail ? A-t-il mentionné que ses prescriptions sortaient de l’usage indiqué ? A-t-il vérifié les interactions entre les principes actifs ? »Ces médecins courent après leurs croyances »Quand il s’agit de répondre, l’intéressé bifurque. C’est pourtant pour ces manquements qu’il sera radié. « Il peut y avoir des débats sur le fond, mais dans un cadre scientifique, avec des études, dans des articles publiés dans des revues à comité de lecture. Là, on a des médecins qui courent après leurs croyances », estime l’infectiologue Jean-Paul Stahl, engagé contre les dérives de prises en charge. Les victimes de « Lyme docteurs » défilent à son cabinet. « Certains sont allés en Allemagne, pour des tests à 5 000 euros pas plus efficaces qu’ici. Une jeune femme avait un lymphome. Ils n’avaient même pas regardé. »En voyant ces ordonnances plus fournies qu’un tiercé, Suzanne Ruhlmann s’est figée elle aussi. C’était en 2017. Son fils, Thomas, handicapé par un autisme sévère, venait de couper les ponts. Inquiète, la mère fouille Internet et tombe sur les « remèdes Bransten », partagés sur des groupes de médecines alternatives. L’autisme est lié à Lyme, explique l’intéressé à qui veut l’entendre. Il faudrait avaler ses mélanges d’antibiotiques pour en guérir, quand bien même le trouble n’a rien d’infectieux. Poussé par une amoureuse, Thomas commence une cure, avant, heureusement, de l’abandonner.C’est Suzanne qui a poussé Elodie à porter plainte. Elle tient un blog, où elle recense les délires des mauvais médecins. « Toute cette histoire est abracadabrantesque », soupire Éric Caumes, infectiologue et auteur de « Maladie de Lyme, réalité ou imposture ». Le spécialiste, un des premiers contempteurs des « Lyme doctors », peste contre les institutions, trop laxistes selon lui, sur ces sujets. « L’Assurance maladie, qui voit passer ces prescriptions devrait les bloquer. Le doute doit bénéficier au patient, mais là, on dépasse l’entendement ». Les ordonnances du Dr Bransten figuraient déjà dans son livre, publié en 2021. Mais ces bonnes feuilles-là ne tournent que rarement dans les mains des patients.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2024-05-02 05:45:00

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