L’Express

Futures pandémies : pourquoi la France doit miser sur les anticorps monoclonaux

Des études récentes ont confirmé que l'infection confère des anticorps neutralisants aux patients symptomatiques, mais beaucoup reste encore à découvrir.




Pendant la crise sanitaire, la France n’a pas seulement échoué à mettre au point un vaccin. On le sait moins, mais elle a aussi raté le développement d’une autre grande stratégie de prévention, les anticorps monoclonaux. Ces traitements aux noms imprononçables (sotrovimab, tixagévimab/cilgavimab…) ont permis de protéger les patients qui répondaient mal à la vaccination, mais ce sont des firmes américaines et britanniques qui ont été leaders dans ce domaine. Ce n’était pourtant pas une fatalité.Le succès récent d’un autre médicament de la même famille, le Beyfortus, qui immunise les nouveau-nés contre le virus de la bronchiolite, redonne l’espoir que l’Hexagone mise à l’avenir davantage sur cette technologie. Un impératif pour la Pr Brigitte Autran, présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), qui appelle à ne pas répéter les – nombreuses – erreurs faites en la matière dans notre pays pendant le Covid. Car ces traitements pourraient se révéler très utiles en cas de nouvelle pandémie. Entretien.L’Express : L’utilisation des anticorps monoclonaux comme stratégie de lutte contre les maladies infectieuses reste assez mal connue. En quoi consistent ces produits ?Pr Brigitte Autran : Il s’agit d’anticorps développés à partir de globules blancs extraits du sang de patients convalescents d’une infection. On sélectionne dans ces globules les lymphocytes B capables de produire les anticorps disposant des meilleurs pouvoirs neutralisants contre le pathogène visé, puis on les purifie et on les produit en grandes quantités. Selon la forme qui leur est donnée, ils auront une durée d’action assez longue, de un à six mois. Ils peuvent suppléer à la vaccination, par exemple quand il n’y a pas encore de vaccin, comme c’est le cas pour la bronchiolite de l’enfant. Dans le cas du Beyfortus, fabriqué et commercialisé par Sanofi, on ne bloque pas l’infection, mais on empêche les formes sévères qui emmènent les enfants en réanimation. La France est le pays qui en a acheté le plus dès son arrivée sur le marché, pour la campagne hivernale 2023-2024. Cela nous a permis de démontrer que les résultats en vie réelle étaient aussi bons que durant les essais cliniques. Cela va sans doute donner un coup d’accélérateur à ces stratégies de prévention.Le Covid avait montré que les anticorps monoclonaux pouvaient aussi être très utiles face à des virus émergents…La démonstration avait déjà été apportée dans le cadre de l’épidémie d’Ebola. Le grand avantage des anticorps monoclonaux par rapport aux vaccins, c’est qu’ils offrent une protection immédiate, contrairement à la vaccination avec laquelle il faut généralement compter deux à trois semaines pour que l’organisme commence à fabriquer ses propres anticorps.A partir du moment où on peut collecter du sang de patient convalescent, il faut environ trois mois pour développer ces traitements : c’est aussi beaucoup plus rapide que les autres familles d’antiviraux, qui reposent sur des molécules chimiques. Ils se révèlent donc très utiles quand il faut aller vite, comme cela a été le cas pour Ebola. Contre ce virus en particulier, les scientifiques regardent à présent s’il est possible de combiner vaccination et anticorps, pour avoir à la fois une protection immédiate et durable.Avec le Covid, on a pu protéger toute la population avec des vaccins efficaces, et les anticorps monoclonaux ont trouvé leur place pour protéger les sujets qui répondaient mal aux vaccins. Le seul gros bémol, c’est qu’avec l’arrivée des variants, les premières générations d’anticorps ont progressivement perdu en efficacité.Les anticorps monoclonaux utilisés pendant la pandémie ont tous été développés et produits à l’étranger. Pourquoi la France n’a-t-elle pas réussi à se positionner sur cette stratégie ?La France dispose de laboratoires académiques capables de mettre au point des anticorps monoclonaux. Nous avons le savoir-faire, et c’est une stratégie sur laquelle il faut investir, pour les situations d’urgence et peut-être aussi pour d’autres pathologies, comme cela vient d’être démontré avec la bronchiolite.Pendant la crise sanitaire, de très bons anticorps ont été développés à l’Institut Pasteur, mais ensuite il y a eu des blocages. Il a été très difficile et très long de créer une société de biotechnologie pour exploiter cette découverte. Quand cette biotech et les anticorps ont été prêts sur un plan industriel, l’épidémie était quasiment terminée. De la même façon, les chercheurs de l’Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris (ESPCI) ont aussi développé un anticorps monoclonal en partenariat avec le MIT aux Etats-Unis, et ils ont cherché à vendre leur produit à un grand laboratoire pharmaceutique étranger.La chimie des antiviraux n’étant pas très développée en France, nous aurions vraiment tout intérêt à miser sur ce savoir-faire des anticorps monoclonaux.Plus concrètement, quelle a été l’origine de ces blocages, et comment les contourner à l’avenir ?Les anticorps monoclonaux sont devenus des outils thérapeutiques très importants pour les cancers et les maladies auto-immunes, et les capacités de production croissent à l’échelle mondiale. Passer de la découverte académique à l’industrialisation est donc possible à condition qu’il n’y ait pas de barrières réglementaires et administratives très lourdes qui complexifient ce transfert.Une fois qu’un anticorps est isolé, qu’on a démontré son efficacité, il faut le breveter très vite, puis régler la question de la propriété intellectuelle afin de trouver des investisseurs qui acceptent de financer la production d’un lot clinique pour les essais thérapeutiques, puis de financer une production à plus large échelle. C’est toute cette chaîne qui doit être pensée en amont et fluidifiée, pour qu’il soit possible d’être réactif en période pandémique.D’autres pays ont su le faire…Aux Etats-Unis, la société Regeneron a capitalisé sur le savoir-faire acquis durant l’épidémie d’Ebola. Ils ont mis toutes leurs capacités dans la bataille, avec le soutien du gouvernement américain, et ont su développer très rapidement d’excellents anticorps. AstraZeneca et GSK ont aussi capitalisé sur leur savoir-faire en immunologie. En France, malheureusement, le développement clinique de l’anticorps de l’Institut Pasteur est arrivé trop tard pour solliciter les grandes firmes pharmaceutiques.Mais en prévision de la prochaine crise, il est essentiel que les pouvoirs publics travaillent en amont sur les moyens de collecte de dons de sang de patients convalescents, et sur la capacité à mobiliser rapidement cette chaîne d’innovation.Les anticorps monoclonaux pourraient-ils être utiles dans le cas d’une pandémie de grippe aviaire, par exemple ?Si jamais le virus de la grippe aviaire mutait et devenait transmissible dans l’espèce humaine, nous aurions très vite des vaccins. Plusieurs grands laboratoires ont déjà des candidats qu’ils pourraient modifier rapidement en fonction de la séquence qui émergerait. Et par ailleurs nous disposons déjà d’antiviraux contre la grippe. Les anticorps monoclonaux pourraient être une stratégie complémentaire intéressante, mais elle ne serait sans doute pas prioritaire pour ce qui concerne ce virus en particulier, car elle est très coûteuse et nous ne sommes pas complètement démunis.En revanche, les anticorps pourraient être très utiles en cas d’épidémie de chikungunya, de fièvre du Nil occidental, ou d’autres agents pathogènes pour lesquels nous n’avons pas aujourd’hui d’autres moyens thérapeutiques, comme la fièvre de la vallée du Rift ou la fièvre Crimée-Congo, dont les symptômes se rapprochent d’Ebola. Sans oublier bien sûr la fameuse maladie X [NDLR : un terme de travail utilisé par l’OMS pour qualifier un agent infectieux capable de provoquer une pandémie grave, encore inconnue] contre laquelle il faut également se tenir prêt.



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Author : Stéphanie Benz

Publish date : 2024-04-30 16:15:45

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