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LR et le Conseil constitutionnel : les coulisses d’un divorce

French LR party presidency candidate Eric Ciotti and  Laurent Wauquiez at the Les Republicains party headquarters in Paris on December 8, 2022, for a public meeting before the second round of the LR presidency election (Photo by Quentin Veuillet/NurPhoto) (Photo by Quentin Veuillet / NurPhoto / NurPhoto via AFP)




On a parfois raison de crier avant d’avoir mal. Ces dernières semaines, les ténors des Républicains attendaient avec perplexité la décision du Conseil constitutionnel sur leur demande de référendum d’initiative partagée (RIP) sur l’immigration. « Ils sont capables de tout », persiflait le patron des députés LR Olivier Marleix. « Tout peut advenir depuis que cette institution ne respecte pas la Constitution », raillait en écho son homologue au Sénat Bruno Retailleau. La droite a en travers de la gorge la censure partielle de « sa » loi immigration en janvier ? La voilà contrainte d’avaler une nouvelle couleuvre. Plutôt un anaconda. Les Sages ont rejeté ce jeudi 11 avril le premier article de sa proposition de loi – et n’ont même pas examiné les quatre autres – qui prévoyait de subordonner « le bénéfice de prestations sociales » à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans aux étrangers en situation régulière qui ne travaillent pas. La procédure est mort-née.Le diable se niche dans les détails. Cette mesure n’a pas été rejetée pour un motif procédural, mais pour « atteinte disproportionnée » aux droits à la protection sociale. Trop, c’est trop. La droite déclenche le feu nucléaire contre le Conseil constitutionnel, accusé de brider le législateur. « Il refuse au peuple français de se prononcer sur l’immigration, il outrepasse son rôle », dénonce Bruno Retailleau. « Le Conseil constitutionnel répond une nouvelle fois à la commande du gouvernement. Le scandale continue. Une petite caste a confisqué la démocratie ! », dénonce le patron de LR Eric Ciotti sur X, quand François-Xavier Bellamy étrille une interprétation « partiale » de la norme fondamentale.Rancoeur politiqueCet échec prolonge une première gifle adressée par le Conseil constitutionnel, raison d’être de ce RIP. En janvier, les Sages ont expurgé la loi immigration des ajouts de LR pour motif procédural. Le tout avec la bienveillance de l’exécutif, qui avait imploré l’institution de nettoyer la loi. La droite n’avait déjà que les yeux pour pleurer et les médias pour hurler. Comme un air de déjà-vu.Cet épisode a nourri une rancœur contre l’institution. A droite, on fait circuler sous le manteau les votes des neuf Sages en janvier. La censure partielle de la loi immigration ne serait passée qu’à une voix près, avec un schisme entre politiques et juristes au sein de l’institution. On raille Alain Juppé, qui a dénoncé en privé des amendements « non soumis à l’analyse préalable du Conseil d’Etat » et une mauvaise « manière de faire la loi ». « Les membres du Conseil ont un passé, des convictions, confie la numéro 3 de LR Annie Genevard. Est-on certain qu’ils font abstraction de tout ce qu’ils ont défendu dans leur vie politique ? »La colère monte. Mais une lecture « politicienne » de ces envolées serait réductrice. Elles illustrent un mouvement profond à droite : une contestation croissante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel – comme celles des juridictions européennes – au nom de la souveraineté populaire. En matière d’immigration et de sécurité, les Sages sont accusés de juger en opportunité davantage qu’en droit. D’entraver l’action publique au prétexte d’une protection des droits individuels. De nourrir un conflit entre démocratie et état de droit.Des critiques anciennes »Quoiqu’il s’en défende, le Conseil constitutionnel n’est pas loin de substituer son appréciation à celle du législateur », écrit l’ancien députe de l’Yonne Guillaume Larrivé dans son livre La Révolution inachevée (Editions de l’Observatoire, 2021). Dans son ouvrage, le conseiller d’Etat s’étonne de l’invention d’un principe de « fraternité » en 2018, bousculant le délit de solidarité. Ou de la censure en 2020 de la loi de sûreté contre les ex-détenus terroristes. Bruno Retailleau n’a enfin pas digéré la censure d’un article de la loi sur le séparatisme conditionnant l’octroi d’un titre de séjour au respect par un étranger des « principes de la République ». Aux yeux de la droite, le casier du Conseil constitutionnel est bien chargé.Cette révolte n’est pas neuve. En 1993, le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua avait mis en cause l’institution après la censure partielle de sa loi sur l’immigration. « Si cela continue […], on pourra fermer l’Assemblée nationale et le Sénat », ironisait à l’époque le patron de Beauvau. En réponse, le Premier ministre Edouard Balladur avait mis en oeuvre une révision constitutionnelle pour permettre l’adoption du texte litigieux. Après le rejet partiel d’une loi sur la rétention judiciaire de sûreté, Nicolas Sarkozy avait, lui, appelé en 2008 la Cour de cassation à la rescousse pour contourner la décision. En vain.Naissance d’une offre politiqueCe mouvement a toutefois changé de nature. De réaction épidermique après la censure de telle ou telle loi, la critique de la jurisprudence des Sages a gagné en épaisseur idéologique. Et se mue désormais en offre politique. A droite, la Constitution est devenue un obstacle. Elle gêne, mais ne protège pas. Les révisions envisagées de notre texte suprême servent moins à l’affermir qu’à contourner son gardien. Une proposition de loi constitutionnelle défendue par LR cet automne visait à y inscrire des quotas migratoires pour éviter un rejet d’une loi au nom du droit au regroupement familial. « La loi constitutionnelle, c’est notre identité. La jurisprudence, c’est le fruit de l’intelligence humaine. Ça n’a pas la même valeur ! », assurait Valérie Pécresse à L’Express en 2022, qui portait cette mesure lors de la présidentielle.Ce discours illustre une intuition – partagée par certains proches du chef de l’Etat. Le sentiment de dépossession des Français serait la clef de la prochaine présidentielle. Cette dépossession serait « identitaire » au regard des bouleversements démographiques. Mais aussi « démocratique », au vu de l’impuissance supposée du législateur. La critique du Conseil constitutionnel matérialise ce propos. Ainsi Laurent Wauquiez a-t-il étrillé un « Coup d’Etat de droit » après le rejet de la loi immigration en janvier et propose que le Parlement puisse avoir le dernier mot après une décision du Conseil constitutionnel. Le candidat putatif de LR pour 2027 place la critique d’un Etat affaibli au cœur de son offre politique. Il dépeint le pouvoir exécutif en « Gulliver enchaîné », dépendant du pouvoir des juges. « A une époque, le juge tremblait lorsqu’il s’approchait du périmètre de l’intérêt général, confiait-il à L’Express en avril 2023. Maintenant, il torche une loi comme il se mouche le matin. La conception du peuple souverain devient de droite. » »Ce n’est pas payant électoralement »L’Etat entravé par les juges. Neuf Sages avides de ligoter le législateur. Cette petite musique ne fait pas consensus à droite. Xavier Bertrand revendique « un profond désaccord » avec Laurent Wauquiez « sur la conception de l’Etat de droit ». Le patron des Hauts-de-France a dénoncé en janvier la sortie de son rival sur le Conseil constitutionnel. Le maire de Meaux Jean-François Copé lui a alors adressé un SMS pour saluer son positionnement. « Ce n’est pas un discours de droite de gouvernement. Que dira-t-on si Le Pen est élue et que le Conseil censure une de ses lois ? », juge l’ancien président de l’UMP.En interne, certaines voix s’interrogent sur l’opportunité politique de cette offensive contre la rue de Montpensier. « Ce n’est pas payant électoralement, juge un cadre LR. Les types qui estiment que le Conseil est composé d’une bande d’affairistes votent RN, et les autres vont se détourner de nous. » L’opinion s’est durcie, la droite aussi. Ce 1er mars 2010, Nicolas Sarkozy prononce un discours devant les Sages. Le chef de l’Etat défend la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), révolution juridique introduite par la révision constitutionnelle de 2008. Le président adresse quelques mise en garde à l’institution – elle ne doit pas s’ériger en « contre-pouvoir politique » – et rappelle que la « souveraineté appartient au peuple ». Puis calme le jeu. « Une censure constitutionnelle tranche moins une question de fond qu’un conflit de compétence entre le législateur ordinaire et le pouvoir constituant. Il n’y a pas à faire de drame. » LR en a décidé autrement.



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Author : Paul Chaulet

Publish date : 2024-04-11 20:46:41

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