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Héroïnes de séries policières : mais pourquoi sont-elles toujours tourmentées ?

La dernière saison de la série "True Detective" met en avant deux personnages féminins, dont l'un campé par Kali Reis, qui crève l’écran par sa présence physique et son regard impassible.




True Detective 4, sorti en janvier sur HBO et Prime Video, s’avère une réussite. Jouant sur les thèmes des autres saisons – le flou entre le réel, le surnaturel, le passé et le présent -, ce dernier opus met en avant deux personnages féminins servis par d’excellentes actrices, Jodie Foster, que l’on ne présente plus, et une révélation, Kali Reis, championne du monde de boxe, qui crève l’écran par sa présence physique et son regard impassible. Dans cette intrigue des plus noires aux deux sens du terme – elle se déroule pendant les quelques jours de nuit complète d’une ville fictive d’Alaska -, les policières Liz Danvers et Evangeline Navarro frappent par leur courage mais aussi leurs blessures. L’agressivité de l’une et la carapace que l’autre s’est forgée cachent des esprits torturés et des âmes traumatisées. Alors que Danvers semble avoir perdu son mari et son fils dans un accident de voiture, Navarro, qui est métisse, peine à se remettre du meurtre sauvage d’une indigène. Ayant comme perdu espoir dans l’humanité, les voilà condamnées à souffrir sous ce ciel alaskien qui pèse comme un couvercle.Cela n’aurait guère d’importance si ces caractéristiques psychologiques ne se retrouvaient chez un grand nombre d’héroïnes de séries policières. Dans Mare of Easttown (2021), l’enquêtrice Mare Sheehan, jouée avec brio par Kate Winslet, fraîchement divorcée, lutte pour obtenir la garde de son petit-fils après le suicide de son fils. Ou encore, dans Homeland (2011-2020), c’est d’un trouble bipolaire que souffre la principale protagoniste et agent de la CIA, Carrie Mathison (Claire Danes).Même chose sur nos rives. The Fall (2013-2016) met en scène une inspectrice anglaise, campée par Gillian Anderson, chargée de pourchasser un tueur en série misogyne. Féministe, célibataire, séductrice, dotée d’une intelligence supérieure, elle non plus ne brille ni par sa bonne humeur ni par sa normalité. Et que dire des héroïnes des deux grandes séries policières scandinaves des deux dernières décennies, The Killing (Forbrydelsen, 2007-2012) et The Bridge (Bron, 2011-2018) ? Quand Sarah Lund (Sofie Grabol), rongée par ses enquêtes, en vient à détruire sa vie personnelle, Saga Norén (Sofia Helin), elle, n’a aucune capacité à interagir avec son entourage puisque, est-il suggéré, elle est sans doute autiste.Faut-il chercher la source de ces personnages tourmentés dans les premiers modèles de ces rôles voués à un grand succès ? Kima Greggs (Sonja Sohn), dans The Wire (2002-2008), pionnière de ces grandes séries policières réalistes, est une flic endurcie, cynique, infidèle et portée sur la boisson. Elle sera suivie peu de temps après, en France, par la tout aussi (auto-)destructrice commandant (sans « e »!) Laure Berthaud (Caroline Proust, exceptionnelle), figure de proue de l’excellente série Engrenages (2005-2020).Attachantes, ces femmes s’avèrent également… alarmantes. Cependant, regarderions-nous des séries policières si leurs héros, lisses et banals, menaient une vie rangée et ne se laissaient pas littéralement dévorer par leurs enquêtes hors norme ? Non, sans doute. Mais si les policiers au masculin ont leur lot de misère, en comparaison, leurs acolytes ou homologues féminins manifestent un degré supplémentaire de mal-être, d’instabilité et de propension au chaos.Peut-être faut-il y voir le résultat d’une tentative maladroite de dépeindre des femmes occupant des fonctions restées longtemps essentiellement masculines. Comme si, de peur de mettre en scène des Miss Marple, on se retrouvait immanquablement à inventer des personnages féminins profondément irréalistes et déséquilibrés. L’heure a sans doute sonné de trouver un juste milieu entre Liz Danvers et Miss Marple.



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Author : Laetitia Strauch-Bonart

Publish date : 2024-04-07 17:20:00

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