L’Express

« Faire l’affaire de l’année » : en pleine inflation, le succès des lotos associatifs

À Bruguières, près de 300 personnes se sont réunies pour participer au loto associatif du club de basket, ce lundi 1er avril.




Dans la salle municipale pleine à craquer de la commune de Bruguières, dans la périphérie de Toulouse, un cri brise le silence studieux dans lequel étaient plongés les près de 300 participants. « Ici ! » s’exclame Virginie, en levant vivement la main. Par ce geste, la quadragénaire stoppe net l’énumération des numéros de loto tirés depuis l’estrade par l’organisateur de la partie. Moins de cinq minutes après le début de cette cinquième manche, la joueuse a fait un « carton plein ». En remplissant, par pur hasard, l’intégralité de sa grille, elle remporte ainsi l’un des lots les plus attendus de la journée : un panier garni « spécial Pâques », rempli de différentes viandes – comprenant le traditionnel gigot d’agneau –, de bouteilles de vin et de produits apéritifs. Autour d’elle, de nombreux voisins poussent un soupir de frustration… Beaucoup étaient à « un numéro près » de gagner ce précieux coup de pouce alimentaire, particulièrement prisé en cette période d’inflation.Virginie, elle, est radieuse. Au tour précédent, sa chance lui a également permis de gagner une machine à café de grande marque, accompagnée de plusieurs dizaines de dosettes. « Mon plein de courses pour la semaine est fait, et en plus, je m’amuse ! » confie-t-elle avant de s’éclipser pour une pause cigarette. A l’entrée de la salle, elle doit se frayer un chemin entre les dizaines de joueurs venus, pendant l’entracte, acheter de nouvelles grilles proposées à moitié prix ou échanger leurs cartons, jugés « malchanceux ». Ici, la superstition va de pair avec le plaisir du jeu : sur les grandes tables en Formica blanc, des dizaines de grigris ont été disposés par des participants de tous âges. Sur la même rangée se côtoient ainsi vierges de Lourdes, vache en plastique ou figurines porte-bonheur, veillant silencieusement sur les cartons de loto. « Celle-là, je ne m’en sépare jamais. C’est mon beau-fils qui me l’a offerte le jour de mon AVC », confie Marielle, en triturant une fève en forme de grenouille.Plusieurs fois par an, cette mère de famille participe aux lotos organisés par les associations de la commune, dans l’espoir de multiplier la somme initialement investie dans ses grilles – vendues entre 3 et 20 euros – en gagnant une montre, une tablette connectée ou le fameux écran plat mis en valeur à l’entrée de la salle. Mais, depuis quelques mois, les lots qui la tentent le plus restent les paniers alimentaires, les jambons de pays de plusieurs kilos, voire quelques bons d’achat pour les supermarchés de la région. « En ce moment, c’est parfois plus intéressant que certains appareils électroniques dont on n’a pas vraiment besoin », soupire-t-elle. Quelques tables plus loin, Carole confirme. « On vient pour le plaisir du jeu, mais aussi pour les gains qui peuvent permettre d’améliorer le quotidien. De plus en plus de jeunes sont d’ailleurs là pour ça : quand on voit le prix de la viande, les gigots d’agneau et les jambons font plaisir ! » témoigne-t-elle en riant. Interrogée sur le plus beau lot gagné en vingt ans de loto, la passionnée n’hésite pas une seconde avant de répondre. « C’était un bon d’achat de 200 euros pour un supermarché qui m’a permis de faire les courses. »Carole et Valérie, collègues de travail devenues amies, jouent ensemble au loto depuis vingt ans. »Faire l’affaire de l’année »Franck Jouvin, qui organise ce type de lotos associatifs six fois par an pour le club de basket de la ville, a bien vu les attentes de son public évoluer sur le sujet. « La planche de fromage ou de charcuterie, les chocolats de Pâques ou une bonne bouteille plaisent parfois plus qu’une carte-cadeau pour le coiffeur du coin. Les gens regardent aussi beaucoup la valeur d’un bien : le but, c’est de miser une petite dizaine d’euros pour repartir avec de la marque, qui vaut trois ou quatre fois plus », témoigne-t-il. Le succès de cette « quête de la bonne affaire » ne faiblit pas. « Il y a des dates, comme le 1ᵉʳ de l’an, où on doit même ouvrir la salle adjacente, avec une file d’attente de plusieurs mètres », assure l’organisateur, ravi – chacun de ces événements permet au club de gagner « environ 2 000 euros », et de financer notamment les déplacements des joueurs en compétitions départementales ou régionales.Ce goût pour le loto est d’ailleurs loin de se limiter à la commune de Bruguières : tous les ans, le site Lotopassion décompte environ 150 000 lotos organisés partout en France, pour un gain moyen de 100 euros par vainqueur. Un chiffre « stable depuis une dizaine d’années », pour une activité « peu chère, ludique et à laquelle tout le monde peut participer », résume Morgane Dantan, responsable marketing du site. Selon elle, la véritable évolution ne réside pas tant dans le nombre de joueurs, mais bien dans le profil de ceux qui passent, chaque année, le pas des salles municipales afin d’y remplir des grilles cartonnées. « Les sexagénaires qui cherchaient du lien social sont aujourd’hui accompagnés de quadragénaires en quête de pouvoir d’achat, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans », complète-t-elle.Pour Pascal Duchemin, sociologue spécialiste de la consommation, le contexte inflationniste y est pour beaucoup. « Il y a aujourd’hui une espèce de fascination pour le gain, le bon plan, les bonnes affaires. En période de tension économique, les gens ne veulent pas sacrifier leur plaisir ludique et essaient de trouver des solutions pour gagner beaucoup en investissant un minimum, comme ça peut être le cas au loto », explique-t-il. Roger Kempf, qui organise chaque année l’un des plus gros lotos nationaux, à Pontivy, en Bretagne, pour le bénéfice du club de football local, en est le premier observateur : « Après le Covid, on a vu débarquer de plus en plus de jeunes, des familles qui venaient tenter de gagner le gros lot… Ce qui les motive, c’est l’envie de faire l’affaire de l’année ! » Il y a de quoi se laisser tenter : lors du loto organisé le 24 mars dernier, le club a fait gagner près de 90 000 euros de gains à ses joueurs, offrant aux grands vainqueurs un van aménagé, une voiture, un quad, ou encore un voyage d’une valeur de 2 000 euros. « Bien sûr que les cadeaux plaisent, mais ce loto est aussi l’événement de l’année pour certaines familles, qui font des kilomètres pour s’y retrouver et passer un peu de temps ensemble. C’est le premier avantage de ce type d’événements », souligne l’organisateur.Un « loisir anti-bling-bling »A Bruguières, Marie-Josée, Gisèle et Jeannette, toutes les trois retraitées, sont ainsi arrivées dès 13 heures pour jouer à la belote avant le début du loto, à 15 heures. Chaque dimanche, ce rituel leur permet de « se changer les idées », de rencontrer d’autres habitants, et de répéter leurs phrases favorites, entendues de leurs mères et grands-mères avant elles. « 80, dans le coin. 13, Sainte-Thérèse. 75, les Parigots ! » répond Jeannette à chaque nouveau numéro lancé par l’organisateur. « C’est la tradition, il y en a des dizaines, des petits proverbes comme ça », s’amuse Marie-Josée, quarante ans de loto au compteur. « Même si je ne gagne pas, c’est ce qui fait que j’attends le dimanche avec plaisir », lâche-t-elle en désignant sa bande de copines.Mickaël et Maëlle viennent réitérer les traditions apprises de leurs grands-parents, en ce lundi 1ᵉʳ avril, à Bruguières. »Le loto rassure, parce que c’est un univers ludique, connu, en partie maîtrisé, où il n’y a pas de chichis ou de côté élitiste, comme on peut le voir dans d’autres jeux de hasard, notamment au casino », analyse Jean-Pierre Martignoni, sociologue spécialisé dans les jeux de hasard et les pratiques ludiques. « On est dans un loisir anti-bling-bling, intergénérationnel, traditionnel, avec un rôle social et un pouvoir de transmission très importants », complète-t-il. Au milieu de la salle, la présence d’un couple de vingtenaires confirme son intuition. « On jouait avec nos grands-mères, on les voyait avec leur grigri ou leurs chiffres porte-bonheur… Alors on fait pareil ! » confie Maëlle, qui mise tout sur le 17, son jour d’anniversaire. A la manche suivante, c’est finalement le n° 80 qui sort en premier de l’urne en plastique. « Dans le coin », répond à l’unisson une bonne partie de la salle.



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/faire-laffaire-de-lannee-en-pleine-inflation-le-succes-des-lotos-associatifs-AH5ZAENDNNFE3OJWMJKD4U6M5U/

Author : Céline Delbecque

Publish date : 2024-04-06 17:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express

681 385 625 509525 478130 487803