L’Express

Affaire Samara : « Beaucoup d’adolescentes vivent sous la contrainte d’interdits religieux »

Le collège Arthur-Rimbaud, où une adolescente a été agressée mardi, le 4 avril 2024 au nord-ouest de Montpellier, dans les Bouches-du-Rhône




Le 2 avril dernier, Samara, une adolescente de 13 ans, est violemment agressée devant son collège Arthur-Rimbaud, à Montpellier, par plusieurs jeunes de son âge, au point d’être plongée dans un coma artificiel durant plusieurs heures. Trois mineurs ont été interpellés et ont « admis (lui) avoir porté des coups », a indiqué ce vendredi le parquet, qui a requis le placement en détention provisoire du plus âgé d’entre eux, un jeune de 15 ans. « Evidemment, je veux tout savoir sur ce qu’il s’est passé durant les mois précédents ou les semaines précédentes dans l’établissement où Samara était accueillie », a déclaré la ministre de l’Education nationale Nicole Belloubet deux jours après l’agression, avant d’annoncer la venue d’inspecteurs généraux dans le collège de la jeune fille pour une « mission flash ».La veille, la mère de Samara s’était exprimée au micro de plusieurs médias, mettant en cause une jeune fille en particulier, scolarisée dans le même établissement, qui serait à l’origine de la fronde menée contre sa fille. « Samara s’habille à l’européenne […], Samara avait fait une couleur rouge à ses cheveux, a-t-elle expliqué. Elle a tellement reçu de moqueries, d’insultes – on l’a traitée de ‘mécréante’ – qu’elle en est arrivée à se reteindre les cheveux parce qu’elle n’en pouvait plus. Elle était constamment molestée toute la journée. Des rires, des crachats dans ses cheveux, c’était infernal pour elle ». Avant d’ajouter : « On est de la même communauté, je suis musulmane, ma fille aussi, et on n’a peut-être pas la même version de la religion que cette jeune fille. On est peut-être plus modérées que ces personnes ».Ce témoignage a entraîné de vives réactions de la part de représentants politiques de tous bords. Jeudi 4 avril, après 24 heures d’émotion sur les réseaux sociaux, la mère de Samara, invitée sur le plateau de l’émission TPMP sur C8, est revenue sur l’affaire, avant de lire un communiqué en direct : « Je dénonce l’instrumentalisation de la souffrance de ma fille par l’extrême droite. Nous sommes une famille musulmane, ma fille est pratiquante et pieuse, elle observe le jeûne du mois de ramadan et fait la prière cinq fois par jour. J’incrimine la fille qui a harcelé ma fille, pas une communauté […] alors ce n’est pas la peine de nous utiliser pour salir notre religion. »Peur devant l’emballement des réseaux ? Intimidations ? Doutes rétrospectifs ? L’enquête dira de quoi le calvaire de Samara a été fait. Les premiers éléments, en tout cas, ne peuvent pas ne pas faire penser au cas de Shaïna, assassinée à Creil il y a cinq ans, affaire à laquelle la journaliste de Charlie Hebdo Laure Daussy, a consacré un livre : La Réputation. Enquête sur la fabrique des « filles faciles » (éd. Les Echappés, 2023).L’Express : Peut-on faire un parallèle entre l’affaire Samara et le phénomène que vous décrivez dans votre livre La Réputation, c’est-à-dire les pressions exercées sur les jeunes filles victimes d’un certain rigorisme religieux dans leur quartier ?Laure Daussy : Il faudra attendre les résultats de l’enquête en cours pour connaître les faits et le déroulé exacts de cette affaire. Toutefois, les premières déclarations de la mère de la jeune fille laissent entendre que Samara se serait vu reprocher certains choix personnels comme, par exemple, sa façon de se vêtir ou de se coiffer. Ce qui lui a valu d’être harcelée et traitée de « kouffar » ou de « mécréante » par une autre adolescente de confession musulmane comme elle. Mon livre La Réputation a comme point de départ la mort de Shaïna, cette adolescente brûlée vive à Creil en 2019 au terme d’un long calvaire. Au cours de mon enquête, je me suis rendu compte que bien d’autres adolescentes vivaient sous la pression, la menace, la contrainte de tout un tas d’interdits à la fois d’ordre patriarcal et religieux : elles ne sont pas les bienvenues à certaines terrasses de café, ne doivent pas s’afficher avec un garçon même si ce dernier n’est pas leur petit ami, sont censées rester vierges jusqu’au mariage et tout ce qui a trait à la sexualité et à leur corps est considéré comme tabou… Beaucoup portent des vêtements assez larges pour respecter les règles de pudeur que leur imposent certains défenseurs d’une pratique rigoriste de l’islam. Certaines choisissent de porter le voile pour des raisons stratégiques et éviter tout risque d’attaques ou d’insultes de la part de groupes de garçons. Contrairement à ce qu’avancent certaines féministes, on voit bien que, dans ce cas de figure, le voile n’est en rien un outil d’émancipation.Dans le cas de Samara, ce ne sont pas de garçons qui seraient à l’origine de la cabale menée contre elle mais une jeune fille. N’est-ce pas étonnant ?Lors de mon enquête à Creil, les harceleurs étaient majoritairement des garçons mais j’ai constaté que des filles pouvaient également se faire le relais de certaines pressions. Tout simplement parce qu’il est très difficile de s’extraire de ce système-là et qu’il est parfois plus simple de hurler avec les loups que de prendre la défense de l’une de ses camarades. Je me souviens de cette amie de Shaïna qui avait, elle-même, qualifié l’adolescente de « fille facile » devant la police. J’ai aussi recueilli des témoignages de professeurs témoins de certaines mises en garde d’élèves à l’égard d’autres camarades : « Attention, tu es trop maquillée », « tu ne devrais pas t’habiller comme ça ». Dans certains quartiers, surveiller ses pairs fait de vous une « bonne musulmane ».Les réseaux sociaux n’ont-ils pas un rôle amplificateur dans ces histoires de harcèlement ?Bien sûr, les réseaux sociaux ont pour effet de démultiplier les menaces proférées à l’égard de certains jeunes et de véhiculer telle image ou telle réputation. L’une des jeunes filles à l’origine du lynchage de Samara aurait créé un faux compte pour nuire à l’adolescente. C’est aussi par ce biais qu’elle aurait donné rendez-vous aux autres agresseurs à proximité du collège. A Creil, j’avais également pu constater que des comptes publics avaient été créés sur Instagram uniquement dans le but d’humilier certaines jeunes filles. Des garçons y publiaient également des photos dénudées de leurs ex-petites amies obtenues sous la contrainte. Un phénomène de « revenge porn » qui fait d’elles des proies.L’école publique et laïque est censée être un sanctuaire à l’écart de toutes pressions religieuses. Or cela ne semble pas être le cas dans cet établissement de Montpellier ?Effectivement, la mère de Samara affirme avoir alerté en amont l’établissement des menaces qui pesaient sur sa fille, après que son professeur principal lui a fait part de ces menaces. Or il semble que l’information n’ait pas été communiquée et que sa demande de protection n’ait pas été prise en compte. L’école a un énorme rôle à jouer dans la transmission des valeurs de laïcité, d’autant plus aujourd’hui alors que ces principes sont régulièrement attaqués. Rappelons que la loi de 2004, qui interdit tout signe ostensible religieux à l’école, avait été mise en place notamment car des jeunes femmes se plaignaient d’être l’objet de pressions pour porter le voile. Plusieurs d’entre elles témoignaient de la sorte devant la commission Stasi, qui a donné lieu à la loi de 2004. J’en profite pour saluer la décision du député PS Jérôme Guedj de saisir le procureur pour menaces à caractère religieux sur la base de l’article 31 de la loi de 1905, un article méconnu qui punit toute pression religieuse. Le principe de laïcité est basé sur la liberté de croire ou de ne pas croire sans pression. Si les faits dénoncés par la fille de Samara sont avérés, au-delà du passage à tabac évidemment condamnable, il est important de rappeler que ces pressions tombent aussi sous le coup de la loi.



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Author : Amandine Hirou

Publish date : 2024-04-05 17:42:04

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