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Demain, des usines sans salariés ?

La production industrielle en France a reculé de 1,9% au mois de janvier par rapport à décembre 2022, en raison d'un repli de 6,7% de la fabrication de matériels de transport, qui comprennent l'aéronautique et l'automobile, a rapporté l'Insee




Ici, une production de médicaments. Là, de l’assemblage de voitures électriques. Ailleurs, des lignes de semi-conducteurs. Et partout, des armées de robots dopés à l’intelligence artificielle (IA) capables de fabriquer et de conditionner les produits. Plus besoin d’éclairer les ateliers : dans ces no man’s land industriels, les automates assureraient les opérations de jour comme de nuit, 24 heures sur 24 et 365 jours par an. D’où leur surnom de « dark plants ». Après le funeste scénario de l’entreprise sans usines, promu par Serge Tchuruk (Alcatel) en 2001, l’usine sans salariés va-t-elle devenir le nouvel horizon de la France en matière industrielle ?A entendre Eric Kirstetter, du cabinet Roland Berger, l’Hexagone devrait se préparer à cette hypothèse pour au minimum préserver, et au mieux faire croître, le maigre tissu industriel qu’il lui reste… Sa part dans le PIB français ayant chuté de 20 % à un peu plus de 10 % entre 1990 et 2022, selon l’Insee. « Nous passons notre temps à placer et déplacer des usines sur des cartes. Le juge de paix, c’est le coût, surtout celui du travail, ce qui nous amène vite à placer les usines hors de France », assure le consultant, pour qui les arbitrages ne se font pas tant au profit de la Chine que des Etats européens et, dans une moindre mesure, de l’Afrique du Nord. Et d’en conclure : « L’une des réponses au problème, c’est l’automatisation. Plus elle sera forte, plus on aura d’usines. Elles emploieront peu de salariés, mais la balance commerciale et la souveraineté de la France en bénéficieront. »S’ils contestent le poids du coût de la main-d’œuvre dans les décisions d’investissement industriel – arguant que la qualité du foncier, des infrastructures, de l’électricité et des formations pèsent aussi dans la balance –, d’autres observateurs partagent l’idée que la France ne peut évacuer la question de l’automatisation. « Le pays se trouve dans une situation un peu schizophrène. La main-d’œuvre qualifiée y est une denrée rare, mais on redoute que les robots ne piquent la place des hommes. A force de tergiverser sur notre stratégie d’automatisation, on va finir par perdre tous nos emplois au profit de ceux qui auront fait ce choix », s’emporte David Cousquer, le fondateur du cabinet Trendeo.Des salariés préposés à la maintenance des robotsBien qu’elle tente d’y remédier depuis quelques années par le biais de mesures de soutien à « l’industrie du futur », la France affiche encore un très faible niveau de robotisation par rapport à ses concurrents. La Fédération internationale de la robotique estime que le pays installe en une année autour de 7 000 robots, quand l’Italie en implante plus de 11 000, l’Allemagne quasiment 26 000 et la Chine, un record, 290 000.Dans la commune de Tarazona, dans le nord de l’Espagne, la manufacture de l’équipementier automobile Forvia donne une idée de ce à quoi ressemblent vraiment ces usines ultra-robotisées. Dans une enceinte d’un blanc aveuglant, une foule de machines assemble des portes de voitures. D’un poste de montage à l’autre, les pièces sont baladées par des bras autonomes, avant d’être emballées par d’autres robots pour être expédiées. Pas d’opérateurs en vue : les salariés du site, car ils n’ont pas tous disparu, sont préposés à la maintenance du système. Un modèle que l’industriel français veut dupliquer. D’ici à 2025, Forvia compte ouvrir pas moins de cinq sites de cette nature à travers le monde. Mais se défend de jouer contre l’emploi. « Nous avons conservé tous nos salariés en les faisant progresser en compétences. Nous ne voulons pas avoir des sites dépersonnalisés, mais nous cherchons à monter en cadence avec des machines plus performantes », assure un porte-parole.Diversifier le tissu industrielCes usines automatisées sont-elles la seule planche de salut pour la France ? Pas forcément, d’autant que les secteurs ne se prêtent pas tous à l’arrivée massive de robots dirigés par IA. D’où l’intérêt de diversifier les productions, plaide Thomas Grjebine, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), un organisme de recherche rattaché à Matignon. « Il ne s’agit pas de s’appuyer seulement sur des produits à très haute valeur ajoutée. Il faut recréer des filières dans un large panel de domaines, souvent moins spectaculaires que les semi-conducteurs, mais qui permettront de redensifier notre tissu productif. Ce peut être la pisciculture, pour réduire nos importations de saumons de Norvège, ou les équipements électriques, illustre le spécialiste. Ce faisant, ces écosystèmes permettront de créer de la valeur et des emplois mieux répartis sur le territoire que les gros investissements, généralement implantés à proximité des agglomérations. Et ce, même si les usines requièrent moins de main-d’œuvre. »Une étude de Trendeo le montre : quand les initiatives de 1 à 25 millions d’euros génèrent 4,4 emplois en France, les « méga-projets » à plus de 130 millions d’euros en créent… 0,5. Un constat qui pourrait amener à réfléchir, à l’échelle de l’Europe comme de la France, à la création de contreparties lorsque des subventions publiques – souvent colossales – sont accordées aux plus grands projets industriels. L’obligation de localiser une partie des approvisionnements pourrait-elle aider à l’émergence d’un tissu plus varié, à l’image du très envié Mittelstand allemand (réseau dense de PME et d’ETI) ? Une chose est sûre : de la taxe carbone au contenu local minimum exigé, les leviers réglementaires ne manquent pas pour attirer des usines ici plutôt qu’ailleurs. En témoigne le boom des projets dans les technologies vertes aux Etats-Unis, qui tiennent moins à l’appétit du pays pour les robots – c’est le troisième pays au monde à en déployer le plus – qu’au fameux Inflation Reduction Act de Joe Biden.



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Author : Julie Thoin-Bousquié

Publish date : 2024-02-27 08:30:00

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