L’Express

Russie : derrière les fanfaronnades de Poutine, une tout autre réalité

Le président russe Vladimir Poutine s'entretient avec des salariés de l'usine Stankomash de Tcheliabinsk, le 16 février 2024.




Il est rare de voir sourire Vladimir Poutine. Mais ce 16 février, alors qu’il visite une usine d’armement à Tcheliabinsk, à l’est de l’Oural, le président russe se montre étonnamment détendu. Et pour cause. Ce même jour, en Sibérie, l’opposant Alexeï Navalny meurt tragiquement dans la colonie pénitentiaire de Melekhovo, tandis que dans l’est de l’Ukraine, les troupes de Volodymyr Ze­lensky se retirent de la ville d’Avdiïvka. En affichant cette sérénité de façade, le président russe veut faire passer un message clair : voilà comment finissent ceux qui s’opposent à lui.Ne tombons toutefois pas dans le piège. La situation de la Russie n’est pas aussi reluisante que l’autocrate russe veut le faire croire. Certes, son armée a repris ­l’initiative. Profitant, en cela, des pénuries de munitions des forces ukrainiennes, qui n’ont, tout simplement, plus les moyens de répliquer au déluge de feu russe. Et l’ambiance, morose, qui pesait sur la Confé­rence sur la sécurité de Munich, ces 17 et 18 février, illustre bien l’inquiétude occidentale sur ce sujet, crucial.Dans ce qui ressemble de plus en plus à une guerre d’usure, l’issue se jouera en effet autant dans les usines d’armement que sur le champ de bataille. Les Russes l’ont bien compris. Près du tiers du budget de l’Etat sera dédié aux besoins militaires en 2024. Nombre d’usines d’armement sont passées en trois-huit, sept jours sur sept. En face, les Européens sont en ordre dispersé. Et si les pactes de sécurité signés récemment avec Kiev par les dirigeants allemand et français vont dans la bonne direction, les résultats concrets se font attendre. Bref, l’Europe patine, le Congrès américain bloque une aide vitale de 60 milliards de dollars, tandis que la Russie est passée en économie de guerre.Une armée russe fragiliséeIl faut toutefois garder la tête froide. L’armée russe n’est pas invincible. Et l’économie du pays n’est pas florissante. Des preuves ? Sur le plan militaire, d’abord. En deux ans, l’armée russe a payé un lourd tribut : 315 000 hommes ont été tués, blessés ou faits prisonniers, selon une récente note déclassifiée du renseignement américain. Quelque 2 200 chars – les deux tiers de la flotte – et plus de 4 400 blindés sont hors d’usage. « Ces chiffres sont colossaux, confirme Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’Otan, aujourd’hui chercheur au Conseil européen pour les relations internationales. En Afghanistan, l’armée soviétique avait perdu une quinzaine de milliers d’hommes en dix ans. »Une Russie plus affaiblie qu’il n’y paraît.Pis, certaines des meilleures unités ont été détruites. « L’effort de modernisation de l’armée entrepris par Poutine depuis le début des années 2000 a été en grande partie annihilé », abonde Yohann Michel, chercheur sur les questions de défense à l’International Institute for Strategic Studies. Pour compenser ses pertes en blindés, Moscou puise dans ses vieilles réserves héritées de l’ère soviétique, notamment des chars T-62, conçus dans les années 1960. Le pays a toutefois trouvé des alliés. Son arsenal compte des milliers de drones Shahed, produits par Téhéran, mais aussi des obus et des missiles balistiques en provenance de Pyongyang. « La Russie a subi de lourdes pertes, mais elle pourrait les compenser en quelques années », résume Camille Grand. Pour les Européens, il est urgent de rattraper leur retard.Le poison lent des sanctions économiquesSur le front de l’économie, aussi, la situation n’est pas brillante, en dépit des rodomontades de Poutine. Certes, la croissance ne s’est pas effondrée : elle a même plutôt bien résisté, flirtant avec les 3 % en 2023 et 2024, d’après les dernières projections du FMI. Moscou a su trouver de nouveaux débouchés, remplaçant ses anciens acheteurs européens par de nouveaux clients en Inde, aux Emirats arabes unis et en Afrique. Alors que les prix du pétrole sont restés élevés, les exportations russes étaient à la fin de 2023 proches, en valeur, de leur niveau à la fin de 2019. Pour autant, les sanctions économiques sont un poison lent qui mine l’appareil productif. La décision par les Occidentaux de bloquer leurs exportations de produits à haute valeur ajoutée a laminé l’automo­bile et ­l’aéronautique russes. Bien sûr, le filet des sanctions n’est pas totalement étanche et la Chine a pu satisfaire une partie des besoins de son grand voisin : le made in China a représenté près de 60 % du total des importations russes entre janvier et octobre 2023 ! Mais pour les semi-conducteurs, les instruments de mesure ou de navigation, essentiels pour l’industrie de la défense, les sanctions occidentales pèsent fortement sur le complexe militaro-industriel. Dans ces secteurs, Moscou n’aurait remplacé qu’un peu moins de la moitié des importations perdues, selon l’institut de la Banque de Finlande.En réalité, le potentiel de croissance de la Russie est durablement affaibli. La fuite en avant de Poutine dans une économie de guerre n‘est pas soutenable dans la durée. Bien que peu endetté, le pays n’a plus accès aux marchés financiers internationaux. Il a dû puiser dans son fonds national de richesse alimenté depuis des années par les exportations d’hydrocarbures. En un an, sa valeur a fondu de 211 milliards de dollars à 133 milliards ! « Les actifs les plus liquides de ce fonds ont déjà été utilisés. Reste l’or et des titres libellés en yuans, plus difficiles à utiliser pour financer le déficit budgétaire », note Julien Marcilly, le chef économiste de Global Sovereign Advisory.Faut-il, maintenant, aller plus loin dans les sanctions ? La question de la saisie des 260 milliards de réserves en devises de la Banque centrale de Russie se pose. Tout comme l’élargissement des sanctions au gaz naturel liquéfié russe dont la France est devenue un des gros acheteurs. Ou la mise en place de pénalités dites secondaires, qui empêcheraient les entreprises occidentales d’acheter à des pays tiers tout produit fabriqué à partir d’éléments russes. De quoi dissuader Pékin de s’approvisionner en Russie, de peur de se voir fermer les marchés américain et européen. L’Occident a donc encore des atouts. Cessons simplement de tergiverser. « Ne demandez pas à l’Ukraine quand la guerre prendra fin, déclarait Volodymyr Zelensky, le week-end dernier, à Munich. Demandez-vous pourquoi Poutine est encore capable de la mener. » Le président ukrainien le sait : dans une guerre, le temps est parfois aussi décisif qu’une division blindée.



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Author : Béatrice Mathieu, Charles Haquet, Paul Véronique

Publish date : 2024-02-24 08:00:00

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