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Cosmétiques : le grand n’importe quoi des « boosters de plaisir »

A base d'algue, de tomates ou de molécules de synthèse, certaines crèmes réguleraient l'humeur selon les industriels. Des fariboles, selon la Société Française de Dermatologie.




Une crème peut-elle améliorer l’humeur ou chasser les pensées négatives ? De plus en plus de marques de cosmétiques le prétendent. S’étaler leur produit sur le visage aiderait, pêle-mêle, à « moduler les émotions », stimuler les « neuropeptides du plaisir », ou encore, réduire les « sensations de douleurs ». Pour accéder à l’euphorie sur commande, il n’y aurait plus qu’à se passer la pommade. Ces produits de beauté, regroupés sous le terme vaste de « neuro-cosmétiques » sont de plus en plus courants ces derniers mois, surtout dans les boutiques en ligne. Une tendance marquée : c’est l’une des plus importantes de l’année à venir, selon le cabinet d’analyse Mintel, un des plus réputés du secteur. Et adoubée, aussi, par certains grands médias nationaux, qui n’hésitent pas à parler de « révolution ».ll y aurait de quoi si de tels effets étaient possibles. Reste que, peu importe le flacon, l’ivresse n’est pas autorisée en matière de cosmétique. Dans une alerte sur le caractère frauduleux de ces affirmations publiée le 16 février dernier, la Société Française de Dermatologie s’inquiète d’un tel phénomène. L’institution rappelle que selon les conventions internationales en vigueur, « les cosmétiques ne peuvent avoir d’effet que sur la peau, les phanères ou les muqueuses ».Impossible donc de revendiquer des effets directs sur le cerveau. Ainsi est faite la réglementation en la matière, notamment en Europe et en France. « Si tel était (cependant) le cas, ce produit devrait être immédiatement retiré du marché. D’autant plus qu’on peut se poser la question de l’induction de dépendances, précise la société savante. Dans le cas contraire, il devrait être considéré comme une publicité trompeuse et une telle publicité devrait être interdite. »140 minutes de sommeil en plus »Les cosmétiques peuvent bien susciter quelques émotions, grâce à l’odeur, ou la texture. Qui n’a pas ressenti de la joie après s’être apprêté ? Il est aussi possible d’utiliser les neurosciences pour identifier plus précisément quel geste, quelles associations olfactives sont les plus savoureuses. Et l’effet hydratant ou apaisant des cosmétiques peut participer à améliorer, « dans une certaine mesure », rappelle la société savante, la qualité de vie des utilisateurs.Sauf que, dans la plupart des cas recensés par la Société Française de Dermatologie, les allégations utilisées dépassent largement ces aspects et prêtent de réels effets neurologiques à leurs principes actifs. Comme ce directeur marketing qui affirme dans Le Figaro que ses mixtures ont des bénéfices « quantifiables sur la santé tant mentale que physique » et apporteraient jusqu’à « 140 minutes de sommeil en plus par semaine ».Seuls les médicaments sont autorisés à de pareilles influences. Et ils ne le sont qu’après s’être acquittés d’études bien plus strictes que celles réalisées par les industriels de l’esthétique, qui ne distinguent quasiment jamais l’effet placebo, par exemple. « Qu’un cosmétique revendique un effet comparable à un somnifère, c’est donc soit très préoccupant, soit faux », souligne Laurent Misery, dermatologue au CHU de Brest et spécialiste en psychodermatologie.Le champ lexical de la dépendanceLe spécialiste, qui a participé à rédiger l’alerte, relève également des allégations qui, selon lui, reprennent sciemment le champ lexical de la « dépendance ». Comme cette start-up qui veut « fidéliser » grâce à ses substances tant efficaces sur le « bien-être » que les clients y reviendraient forcément. Ou ces marques qui n’incorporent rien de moins que du CBD, une des molécules du cannabis, qui si elle n’est pas considérée comme psychoactive présente des effets sur le système nerveux.Les exemples sont nombreux. Ici, une marque espagnole vend des coffrets d’ »emothérapie mentale », une thérapie émotionnelle par la crème qui serait, selon les produits, capable « d’atténuer les effets de la dépression » en stimulant les bons circuits dans le cerveau. Là, une entreprise suisse assure que sa pommade permet une hausse de la sérotonine et de la mélatonine, deux hormones également stimulées par la consommation de stupéfiants.De nombreux manquements à la règleComment expliquer un tel mélange des genres ? Pour Laurent Misery, il est possible que certains entrepreneurs ignorent la différence entre le plaisir associé à l’activité en elle-même, « prendre soin de soi », et celui induit par une quelconque substance. Mais, selon le spécialiste, d’autres n’hésitent pas à jouer sur ce flou pour appâter leurs clients. Le mieux-être fait recette.Cette alerte, adressée aux autorités, aux professionnels de santé et aux consommateurs est loin d’être la seule sur le sujet. En novembre 2023, la DGCCRF pointait déjà dans un communiqué le grand n’importe quoi des allusions sur les effets des cosmétiques. En 2020, dernier bilan en date réalisé par l’institution de répression des fraudes, plus d’un tiers des produits cosmétiques testés n’étaient pas conformes à leurs allégations commerciales. Stupéfiant.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2024-02-21 17:00:00

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