L’Express

Bayrou relaxé : Macron et les ministres mis en examen, le dilemme impossible

Le président du MoDem, François Bayrou, arrive au Tribunal judiciaire des Batignolles, le 5 février 2024 à Paris




Elle était davantage une coutume qu’une règle d’or. Emmanuel Macron s’en était fait le garant lors de son entrée à l’Elysée, avant de la jeter aux orties. La relaxe de François Bayrou dans l’affaire des assistants parlementaires européens porte un nouveau coup à la jurisprudence Balladur-Bérégovoy, en vertu de laquelle un ministre mis en examen doit quitter le gouvernement.Le maire de Pau, éphémère garde des Sceaux, avait appliqué avec zèle cet usage en juin 2017 : il avait démissionné dès l’ouverture d’une enquête préliminaire, tout comme Marielle De Sarnez, décédée en 2021. La décision du Tribunal correctionnel de Paris donne du grain à moudre aux contempteurs de cette tradition. N’a-t-elle pas brisé le destin politique de François Bayrou, réduit au rang de visiteur du soir du chef de l’Etat ? « Le président hait les chasses à l’homme, notait récemment un stratège macroniste. Si Bayrou est blanchi, cela lui donnera raison de ne pas avoir cédé pour d’autres. »Des ministres mis en examen… puis blanchisVoilà le président conforté dans ses choix. Car Emmanuel Macron a progressivement abandonné cette doctrine. Son automaticité plaçait le destin de chaque ministre entre les mains de la justice. Le président a repris la main. Alain Griset, ministre délégué chargé des Petites et moyennes entreprises, n’a quitté le gouvernement qu’après sa condamnation en décembre 2021 pour avoir omis de déclarer une partie de son patrimoine. Le chef de l’Etat a maintenu en poste Éric Dupond-Moretti et Olivier Dussopt, mis en examen puis relaxés dans deux affaires distinctes. Exit en revanche la ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, visée par une enquête pour des cadeaux non déclarés ou Damien Abad, frappé par une enquête pour tentative de viols. Du cousu main politique, au gré des intérêts du président.Ce dernier est jaloux de ses prérogatives. Après la relaxe du ministre de la Justice, Emmanuel Macron tance en Conseil des ministres ces « chroniques judiciaires », révélatrices selon lui d’une « autorité qui se veut pouvoir. » « Il considère que la volonté de l’autorité judiciaire est de se transformer en pouvoir qui consiste à passer derrière ceux qui ont le pouvoir de nomination des ministres, en l’occurrence lui », note un ancien membre du gouvernement. Olivier Dussopt a ainsi reçu un coup de téléphone du chef de l’Etat après sa relaxe et la décision du Parquet national financier d’interjeter appel.Le 16 janvier 2024, Emmanuel Macron théorise lors d’une conférence de presse son revirement de jurisprudence. Il invoque la suppression en 2014 des instructions individuelles de la Chancellerie aux parquets dans les dossiers sensibles. Cette décision a renforcé l’indépendance de la justice, libre d’enquêter sur un ministre en poste. Pourquoi dès lors porter atteinte à sa présomption d’innocence ? Et puis, l’histoire incite à la prudence. « Des ministres ont été innocentés, cela montre que c’est assez juste », note le chef de l’Etat à propos de sa nouvelle doctrine. Il la pousse à son paroxysme en nommant Rachida Dati Rue de Valois, malgré une mise en examen pour « corruption » et « trafic d’influence ». « Une rupture », déplore François Hollande dans un entretien à L’Express : « Non seulement une mise en examen ne conduit pas un ministre à sortir du gouvernement, mais elle ne devient pas un obstacle pour y entrer. »Exigences contradictoiresLe débat oppose des exigences aussi contradictoires que légitimes. L’aspiration à l’exemplarité de la classe politique et le respect de la présomption d’innocence. La première commande l’intransigeance, au risque de l’injustice. Le second appelle la modération, quitte à entraver l’action publique ou entacher l’image du pouvoir. « Quand quelqu’un quitte le gouvernement, vous actez une présomption de culpabilité, déplore un ministre. C’est toxique. Vous soumettez des gens à la vindicte populaire pour des faits non établis. » « Dans l’esprit des gens, la jurisprudence Balladur rend coupable le ministre mis en examen », ajoute le patron des sénateurs macronistes François Patriat. Ses défenseurs arguent, en creux, que cette injustice est le prix à payer pour une confiance accrue en la parole politique. Une sorte de mal nécessaire.Les destins individuels sont otages de ce conflit de principes. Un ministre résumait cet automne le dilemme : « Si Bayrou est mis hors de cause, on dira qu’il a perdu sept ans potentiellement de gouvernement. C’est compliqué : est-ce qu’on doit se priver des gens ‘au cas où’ ? » La condamnation d’un ministre jette une tâche rétrospective sur son bilan. La relaxe d’un élu contraint à la démission nourrit un sentiment d’injustice. Richard Ferrand connaît trop bien cette alternative. Ce proche d’Emmanuel Macron a quitté le gouvernement en 2017 pour une affaire de « prise illégale d’intérêt », avant d’être libéré des menaces judiciaires. Il n’a jamais retrouvé la table du Conseil des ministres.



Source link : https://www.lexpress.fr/politique/bayrou-relaxe-macron-et-les-ministres-mis-en-examen-le-dilemme-impossible-CZQIZUOT4ZG7FF3KZGPG5IE2DM/

Author : Paul Chaulet

Publish date : 2024-02-05 18:10:55

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express