L’Express

Guerre en Ukraine : l’économie résiste, les finances accusent le coup

Des pompiers mènent une opération après qu'une frappe russe a touché la capitale ukrainienne, Kiev, le 29 décembre 2023




En 2024, le PIB de l’Ukraine sera de 25 % inférieur à ce qu’il était avant la guerre. Ce chiffre spectaculaire s’explique principalement par l’occupation de 15 % du pays par les Russes – des territoires industriels désormais sinistrés économiquement – et par la diminution de la population active, qui était de 18 millions de personnes avant le conflit. Depuis le début de la guerre, le ministère de la Défense annonce que 700 000 personnes ont été mobilisées dans l’armée, 100 000 dans la police, 90 000 dans la protection des frontières. Les prochaines mobilisations pourraient concerner 500 000 autres personnes. D’après les Nations unies, près de 30 000 civils ont été tués hors des territoires occupés – ces chiffres n’incluent pas, par exemple, le massacre de Marioupol. Et pas loin de 8 millions de personnes, essentiellement des femmes et des gens âgés, ont quitté le pays. La population devrait néanmoins augmenter de nouveau cette année en raison du retour de certains Ukrainiens dans leur patrie.Plus d’hommes sur le front ou dans les usines ?Le défi de l’économie ukrainienne est similaire à son défi militaire. L’armée doit repousser les Russes avec moins d’hommes, moins de matériel, moins de munitions. L’économie du pays doit rester dynamique avec moins de capital humain. Les entreprises ont perdu 10 à 20 % de leurs effectifs du fait de la mobilisation. Or, l’économie doit générer des revenus pour faire vivre les Ukrainiens, financer l’effort de guerre, réparer les infrastructures détruites par l’ennemi, limiter sa dépendance à l’aide financière extérieure, avec peu de travailleurs. Une loi devait être discutée au Parlement à partir du 11 janvier afin d’étendre la conscription. Elle a été reportée sine die. En cause, son coût financier direct mais aussi la prise de conscience du pouvoir qu’augmenter le nombre de personnes mobilisées se ferait au détriment de la croissance économique, et donc des ressources potentiellement affectables à l’effort de guerre, dans un contexte où les finances publiques ukrainiennes sont plus que fragiles.Le système bancaire n’est pas asphyxiéLe FMI attend au moins 3 % de croissance cette année, après 5 % en 2023. L’économie ukrainienne tient car les gens travaillent et les entreprises font preuve d’une résilience qui semble à toute épreuve. Le directeur général de Crédit Agricole Ukraine, Carlos de Cordoue, souligne que les comptes des entreprises pour 2023 montrent une « adaptation remarquable » grâce à « une énergie et une solidarité très fortes, dans et entre les entreprises ». Le rapatriement des dividendes dans les pays d’origine des multinationales étrangères étant interdit, leurs profits sont placés auprès des banques, ce qui confère une grande liquidité au système financier.L’électricité fonctionne également. Les Ukrainiens sont devenus tellement maîtres dans leur capacité à protéger leur réseau, à le réparer et, le cas échéant, à utiliser des générateurs, que les Russes ont abandonné l’idée de couper le courant à coups de missile. Le secteur de la tech ne s’arrête pas de grandir, tiré par les énormes investissements consentis par le pays dans le domaine de la cybersécurité et les industries de défense, avec les drones notamment. La logistique agricole est opérationnelle, y compris pour exporter. Alors même que la Russie s’est retirée de l’accord sur les céréales au mois de juillet 2023, les exportateurs ukrainiens de céréales longent les côtes roumaines, bulgares et turques et approvisionnent l’Afrique du Nord. Grâce à leur ingéniosité, les volumes de céréales exportées ont quasiment retrouvé leur niveau d’avant-guerre.A Kiev, malgré les attaques désormais quasi quotidiennes de missiles, les magasins sont achalandés, les restaurants sont remplis jusqu’à 22h30, le temps pour les clients et le personnel d’être rentrés à la maison à minuit, l’heure du couvre-feu. Cette quasi-normalité de la vie économique dans la capitale – des gens qui vont au bureau et à l’usine, des commerces dynamiques, des embouteillages urbains – contraste avec l’extrême violence du front.Sous le feu russe, l’industrie tient bonLa production industrielle s’est effondrée au déclenchement de la guerre mais elle est désormais stabilisée, à un niveau néanmoins très bas. Certaines usines ont réussi à assurer une grande continuité d’activité, y compris dans des circonstances dégradées. C’est le cas de Centravis, un leader mondial de tubes en acier destinés au secteur du nucléaire, du charbon ou des motoristes automobiles, dont la principale usine est située à Nikopol, à 6 kilomètres du front, régulièrement sous le feu de l’artillerie et des drones. Son directeur, le Français Alexandre Joseph, explique que l’activité de l’usine ne s’est jamais arrêtée. Des abris ont été construits à l’intérieur du site. Sa rentabilité est en ligne avec ses résultats d’avant-guerre et les investissements augmentent. C’est une victoire pour l’Ukraine que ce type d’entreprises soit florissante, alors même qu’elle est placée sous la menace permanente du feu russe.Preuve de cette résilience de l’économie ukrainienne, le FMI prévoit que le PIB par habitant retrouvera dès 2027 son niveau de 2021. Le taux d’investissement du pays est au plus haut depuis 2018. Le chômage, bien que très élevé – 20 % de la population active -, recule et l’inflation, aux alentours de 5 %, est presque normalisée, et même légèrement inférieure à la progression des salaires, ce qui permet au pouvoir d’achat de commencer à remonter.Un déficit budgétaire recordLe principal problème économique du pays ne concerne pas son activité mais ses finances. Le déficit budgétaire a, sans surprise, atteint un niveau record en 2023, à près de 30 % du PIB, soit environ 50 milliards de dollars, tiré par les dépenses militaires et la sécurité intérieure. L’aide internationale est la principale source de financement de ce déficit depuis le début de la guerre. Certes, les recettes fiscales sont aussi en augmentation, grâce à la croissance économique et à la lutte contre la corruption. Pour autant, même si la dette publique du pays reste raisonnable – 80 % du PIB -, il est difficile d’imaginer que l’Ukraine puisse financer la totalité de son déficit ces prochaines années par un appel aux marchés financiers internationaux. Bonne nouvelle toutefois : le 1er février, les 27 pays de l’Union européenne ont arraché un accord sur une aide de 50 milliards d’euros sur quatre ans, jusqu’alors bloquée par le Premier ministre hongrois Viktor Orban.Le spectre de la planche à billetsLa situation est plus complexe aux Etats-Unis où les parlementaires proches de Donald Trump ne veulent pas entendre parler d’une nouvelle tranche d’aide à l’Ukraine, à la grande satisfaction de Vladimir Poutine. Si jamais ce soutien financier à l’Ukraine s’effilochait, le pays devrait sans doute combler une partie de son effort de guerre en faisant fonctionner la planche à billets, c’est-à-dire par l’inflation. Le mécontentement et les désordres que cela pourrait générer dans le pays constitueraient une victoire pour la Russie, et donc une défaite pour nous, Européens. L’un des principaux défis de l’Ukraine en 2024 est de conserver une économie dynamique pour financer une armée forte. Ses alliés peuvent, et doivent, l’y aider.



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Author : Nicolas Bouzou

Publish date : 2024-02-02 06:30:00

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