L’Express

En Ukraine, la difficile intégration des femmes dans l’armée

ZAPORIZHZHIA, UKRAINE - JULY 15: Female members of the Ukrainian Army's 128th Carpathian Mountain Assault Brigade train in different combat scenarios including various obstacles in conditions similar to the situation on the front line as they prepare to take part on the frontline in Zaporizhzhia, Ukraine on July 15, 2023. Over sixty thousand women including military press officers, health specialists and psychologists are a part of the brigade. Ercin Erturk / Anadolu Agency (Photo by Ercin Erturk / ANADOLU AGENCY / Anadolu via AFP)




Sur le champ de bataille, chaque minute compte pour sauver les soldats blessés. Alors, quand un militaire vient dire à Kateryna Halouchka que son équipe d’évacuation ne peut pas s’y rendre pour emporter les blessés, la brancardière de 26 ans est interloquée. « Pendant vingt minutes, ils ont essayé de me convaincre qu’une autre équipe devait venir à notre place parce que je suis une femme et que les soldats me pensaient incapable de remplir ma tâche », raconte, avec colère, celle qui, dès 2019, a rejoint Hospitaliers, un bataillon médical composé de volontaires qui travaillent avec l’armée.Depuis le début de l’invasion, Kateryna enchaîne des missions de plusieurs semaines ou de plusieurs mois sur le front. Si elle n’a jamais tiré sur l’ennemi, elle n’en occupe pas moins un poste clé, celui d’infirmière militaire. Partout où l’on a besoin d’elle, elle part au feu – comme les dizaines de bénévoles qu’elle encadre. « Beaucoup de femmes nous rejoignent parce qu’elles ne veulent pas intégrer l’armée à temps plein, raconte Kateryna, rencontrée dans un café de Kiev lors d’une « perm ». Ou bien, elles viennent chez nous parce qu’on les refuse dans les groupes de combat. »5000 Ukrainiennes en première ligneLongtemps, les femmes n’ont pas eu leur place dans l’armée ukrainienne. Même si bien des blocages demeurent, les mentalités ont commencé à changer en 2016, à l’occasion d’une campagne de lobbying intense, appelée « Bataillon invisible ». Deux ans plus tard, les femmes obtiennent le droit de rejoindre des positions de combat. Aujourd’hui, près de 60.000 d’entre elles servent dans l’armée ukrainienne, dont 5000 en première ligne. Une proportion faible, comparée au million de soldats ukrainiens, mais la tendance est à la hausse. Elles étaient ainsi, l’an dernier, 40 % de plus qu’en 2021 à s’enrôler. En plus de se retrouver sous les obus ennemis, ces soldates doivent encore souvent affronter le scepticisme de leurs « collègues » masculins, qui ne les considèrent pas toujours comme des « sœurs d’armes ». Dans une forêt près de Lviv, dans l’ouest du pays, lors d’un entraînement militaire pour les civils organisé par des instructeurs bénévoles, la différence des genres saute aux yeux. Alors qu’un groupe de jeunes garçons sortant à peine de l’adolescence comparent leurs uniformes en tirant de façon théâtrale sur leurs cigarettes, plusieurs femmes plus âgées se demandent si elles vont être prises. « Comment as-tu fait pour rejoindre une unité ? J’ai entendu dire que c’est un vrai parcours du combattant », demande, sous la pluie et dans la boue, une fille en tenue de camouflage à sa voisine. Au début de l’invasion, Tetyana a quitté son emploi de graphiste pour approvisionner bénévolement un bataillon ukrainien en équipements militaires achetés dans l’Union européenne. Il y a quelques mois, cette quadragénaire sans enfants décide de passer le cap en s’enrôlant comme brancardière. Durant deux semaines, elle se rend tous les jours au centre de recrutement militaire, qui refuse de l’inscrire. Finalement, elle est enregistrée comme « assistante administrative », même si elle a suivi le même entraînement que les autres soldats et qu’elle veut soigner les blessés en première ligne.En attendant d’être appelée sur le champ de bataille, elle prend des cours le week-end avec des instructeurs pour se préparer au « choc ». Gratuits pour les militaires, ces cursus sont surtout suivis par des passionnés de tirs ou des civils qui anticipent la mobilisation. « Je sais qu’il y a beaucoup de femmes qui aimeraient servir, mais qui font face à des obstacles bureaucratiques ou au poids des mentalités. Je ne suis pas en faveur d’une mobilisation massive des femmes, mais on devrait aider celles qui veulent se battre. Il vaut mieux une femme motivée et volontaire qu’un homme qui y va à reculons », estime Tetyana, dont les proches s’opposent à sa décision de combattre, par peur qu’elle se fasse tuer.Mieux vaut une femme motivée et volontaire qu’un homme qui y va à reculons Depuis le début de l’invasion russe, de plus en plus de femmes participent à ces entraînements pour civils. Au programme : maniement des armes, aide médicale… « Après le massacre de Boutcha, chaque Ukrainien, quel que soit son sexe, doit être prêt à prendre les armes », estime Lyubov, 36 ans, bottines aux pieds et Kalachnikov en main, lors d’une de ces séances, à Lviv. Sa fille de 20 ans, passionnée de tir, a elle aussi rejoint le centre de commandement. Elle y occupe un poste administratif.StigmatisationsPlus qu’une question d’égalité, accueillir des femmes dans ses rangs est, pour l’institution militaire, une nécessité. Face aux effectifs inépuisables des Russes, qui mobilisent 20.000 nouveaux conscrits par mois selon Kiev, l’armée ukrainienne, qui durcit par ailleurs les exemptions au service pour les hommes, a besoin des femmes pour compenser les pertes. L’âge limite a ainsi été relevé de 40 à 60 ans pour les recrues féminines, le même que pour les hommes. Depuis le 1er octobre, les femmes ayant une formation médicale sont tenues de se signaler aux bureaux de recrutement. Et cela, alors que le Parlement examine un projet de loi controversé pour atteindre l’objectif de 500.000 nouveaux combattants. « Durant tout le temps que j’ai passé sur le champ de bataille, j’ai fait face à beaucoup de stigmatisations. La première chose que l’on vous dit, c’est que vous avez rejoint l’armée pour vous trouver un mari ! » explique Kateryna, qui, tout en œuvrant sur le terrain, a travaillé pendant trois ans dans un centre de commandement, où elle était appelée avec humour « la conseillère free-lance sur les questions de genre ». De fait, plusieurs femmes ont dénoncé des cas de harcèlement sexuel dans l’armée. « Pour surmonter les stéréotypes, il faut en faire deux fois plus que les hommes, poursuit-elle. C’est le seul moyen d’être considérée comme un soldat normal. »Mais peu à peu, les préjugés tombent. En 2023, des femmes ont eu le droit, pour la première fois, d’entrer à l’académie militaire d’Odessa, spécialisée dans le renseignement. Est-ce suffisant ? Non, car aucune femme n’occupe de poste de haut niveau au sein de l’état-major. Et seulement 8,9 % des officiers sont des femmes, selon un rapport d’avril 2023 de la Fondation ukrainienne des anciens combattants, une institution publique. Mais là encore, la tendance pourrait s’inverser, espère Kateryna. « De plus en plus de femmes rejoignent l’armée après avoir perdu leur mari, leur copain ou leur fiancé », explique la brancardière, dont le petit ami est mort durant le siège de Marioupol, au début de l’invasion. « Qu’on le veuille ou non, la population commence à prendre conscience que tout le monde devra combattre, qu’importe le genre, l’âge ou le statut social. » Et puis, il y a, quand même, de bonnes nouvelles. « Avant 2022, nous n’avions pas d’uniformes ni de chaussures à notre taille, ajoute, dans un sourire, Kateryna. Après dix ans de guerre, le ministère de la Défense s’est enfin décidé à nous acheter des gilets pare-balles adaptés à notre morphologie. » Si même l’intendance commence à suivre…



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Publish date : 2024-01-18 06:59:48

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