Au moment où Donald Trump revient – et dans quelles dispositions ! –, où en est la perspective d’une véritable autonomie stratégique européenne, à juste titre défendue par la France ? Dans les limbes, pour les trois raisons suivantes.Premièrement, l’Union européenne n’a originellement pas de vocation politique ni, par conséquent, militaire. Le traité de Rome de 1957 et, avant lui, la Communauté économique du charbon et de l’acier (France-RFA-Benelux), puis la Communauté économique européenne, avaient pour base quasi exclusive l’économie, et c’est toujours bien l’Otan qui constitue la défense du continent. Or, plus de 80 % des dépenses et des capacités militaires du traité de l’Atlantique Nord (qui compte 32 membres, presque tous européens !) sont américaines ; on ne peut reprocher la faiblesse militaire de l’UE devant l’agression russe.Deuxièmement, une Europe-puissance se heurte à deux écueils : d’abord la plupart des membres ne jurent que par l’Otan et Washington en guise d’assurance-vie – notamment à l’est face à la Russie –, ensuite l’Allemagne ne veut pas en entendre parler sérieusement. Depuis 1945, l’opinion et les dirigeants allemands, comme s’ils avaient peur d’eux-mêmes, rejettent absolument d’assumer à nouveau l’usage de la puissance. L’armée allemande, sauf exceptions, ne se projette pas (Constitution de 1949), et elle n’acquiert que du matériel lourd américain, presque jamais français, britannique, suédois ou italien. Récemment, plusieurs projets industriels militaires européens ont été boudés par Berlin, et sur les 100 milliards de dollars récemment débloqués pour la défense par Olaf Scholz, la quasi-totalité a déjà été affectée à l’achat de matériels américains.La “relation privilégiée” a du plomb dans l’aileTroisièmement, Washington entretient de moins en moins, président après président et depuis au moins Barack Obama, sa “relation privilégiée” avec Londres, et ce n’est certainement pas l’attelage Trump n° 2-Musk qui va renverser la tendance ! Le retrait piteux de Kaboul en 2021, le refus américain d’une sorte de fusion économique avec le Royaume-Uni (ridicule promesse de Brexit du consternant Boris Johnson) en 2023, la posture défiante de Trump et sa détestation des travaillistes en poste pour quatre années au moins, etc. : tout le confirme.Dans un tel schéma, il faut impérativement renforcer l’alliance franco-britannique.D’une part, un tel tandem stratégique correspond à 2 voix permanentes sur 5 au Conseil de sécurité, à la troisième force de frappe nucléaire potentielle (si tant est que l’arsenal russe soit réellement en état…), le premier domaine maritime au monde, une synergie diplomatique considérable en Afrique, au Moyen-Orient, en Indo-Pacifique et bien sûr en Europe, et une lucrative réduction des coûts de fabrication de certains armements par mutualisation. D’autre part, nos deux Etats sont déjà très proches sur les plans démographique, institutionnel, géographique et même diplomatique, avec des approches sans cesse plus similaires.Noyau stratégiqueUne lubie ? Certes pas ! Déjà en 1998, à Saint-Malo, Jacques Chirac et Tony Blair signaient une convention de partenariat renforcé, que grèverait la mésentente irakienne de 2003. En 2010, c’est le traité de Lancaster House qui lui succédait et existe encore, notamment en termes de coopération nucléaire. Les Britanniques demeurent très attachés à l’Alliance atlantique ? Fort bien (et nous aussi) mais, d’abord, ils se rendent compte de l’éloignement américain déjà évoqué, ensuite il ne s’agit pas de se substituer à l’Otan mais bien d’acquérir une autonomie stratégique n’existant pratiquement pas aujourd’hui. Ainsi, face à des menaces communes (non perçues comme telles par Washington), Londres et Paris pourraient constituer un noyau stratégique crédible à l’échelon mondial – celui sur lequel seules ces puissances, en Europe, peuvent et veulent prétendre jouer un rôle majeur – autour duquel pourraient du reste s’agréger, dans des missions diplomatiques ou militaires ad hoc, d’autres Etats amis, européens notamment. Déjà, depuis la crise libyenne de mars 2011, les deux alliés déposent fréquemment des résolutions de concert au Conseil de sécurité.Cette alliance stratégique, faute d’alternative dans un monde géopolitique en plein changement, permettrait aux espaces, valeurs et intérêts européens d’être défendus de façon crédible.Frédéric Encel, chroniqueur à L’Express, auteur d’une thèse de doctorat sur Jérusalem, publiée sous le titre “Géopolitique de Jérusalem” (Flammarion, 2009).
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Author : Frédéric Encel
Publish date : 2025-01-21 07:00:00
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