Le choc a été rude ces dernières semaines, et les relais européens de ces jours-ci n’y changeront rien : l’Amérique a signifié très clairement qu’elle comptait se décharger le plus complètement possible de la sécurité de l’Europe, quitte à passer l’Ukraine par pertes et profits ou, pire encore, à la vassaliser économiquement sans avoir à la protéger physiquement.On commentera pendant longtemps ce revirement américain, entamé dès avant l’élection de Donald Trump, et la confiance que le président semble accorder à ses ennemis plutôt qu’à ses alliés. Mais pour l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, plus qu’une douche froide, c’est un moment de remise en question existentielle. En effet, ce n’est pas seulement l’alliance atlantique qui est actuellement menacée, mais bien l’Europe telle que nous la connaissons, une Europe à bien des égards “made in USA”.Depuis plus de cent ans en effet, les Etats-Unis ont façonné le continent européen plus que tout autre puissance. Revanche d’une ancienne colonie devenue plus puissante que sa métropole, l’influence américaine sur l’Europe ne s’est pas limitée à l’industrie de la défense ou aux bases américaines en Italie, en Allemagne et en Grèce, ou même encore à la culture – au point que les Kevin, Brandon et Dylan se comptent aujourd’hui par centaines de milliers sur tout le continent.Nous ne nous en rendons pas compte, mais cette Europe “made in USA” existe aussi dans notre propre identité politique, tant l’influence américaine sur l’ensemble de nos processus internes a été forte. On pourra bien sûr citer l’exemple de l’Union européenne, projet qui regroupe au départ l’ensemble des perdants continentaux de la Seconde Guerre mondiale autour d’un projet d’union fortement inspiré par le succès américain – et qui continue de l’être à Bruxelles, une ville qui se voit parfois comme une nouvelle Washington. Ou encore notre tendance, partout en Europe, à copier les dernières nouveautés du système de communication politique américain, que celles-ci soient des méthodes de sélection de candidats (comme les primaires ouvertes, très à la mode dans les années 2010) ou des thèmes, voire des slogans de campagne, tel que le “Make Europe Great Again” aujourd’hui repris en chœur par des politiques européens qui ne portent pourtant pas tous l’Amérique dans leur cœur.Trois dates clésNon, l’impact des Etats-Unis sur notre système politique est beaucoup plus profond que cela, et il se résume en trois dates clés : 1917, 1945 et 1991.1917, c’est l’entrée des Etats-Unis dans la Grande Guerre, aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne. Le président Wilson avait conditionné la première intervention américaine sur le continent à 14 points, dont Georges Clémenceau, cynique, avait dit que Dieu lui-même n’avait eu que 10 commandements. Il n’empêche, ce sont les Etats-Unis qui sont sortis seuls vainqueurs de cette guerre, commençant ainsi la lente transformation du continent tel que nous le connaissons aujourd’hui : exit les empires, l’Europe goûte pour la première fois à la potion américaine, basée sur le libre-échange, la liberté de navigation et surtout l’auto-détermination des peuples européens.Projet raté, car si elle est décisive pour créer un nouvel ordre européen, l’Amérique se retire aussitôt de tout mécanisme pour sauvegarder un ordre qui ne tient au final que par sa volonté : les Etats européens, tous ruinés, ne peuvent rien faire seuls, et la montée en puissance du fascisme et du communisme dans les années 1930 scelle la fin du premier projet d’Europe inspiré par l’Amérique.En 1945, le projet reprend forme, mais sur une aire beaucoup plus réduite, occupation soviétique d’une moitié du continent oblige. Vainqueur incontesté du deuxième conflit mondial, première puissance économique mondiale comptant à elle seule pour moitié de l’ensemble du PIB mondiale, l’Amérique fascine l’Europe, qui accueille ses GIs, ses navires et ses avions un peu partout en Europe de l’Ouest. C’est à cette époque où la démocratie libérale s’installe durablement sur la moitié occidentale du continent européen, et ce malgré (ou peut-être à cause de) la menace que fait peser le communisme soviétique. Nous devons à cette époque la plupart de nos institutions et de nos processus démocratiques, inspirés par les Américains même lorsque ces derniers n’ont pas participé à leur mise en place.Dernière date importante, 1991, qui est celle de la chute de l’empire soviétique, et conjointement, du début des guerres de Yougoslavie. Avec cette double disparition, le modèle américain qui a fait des miracles en Europe de l’Ouest s’étend vers l’Est, alors que les “fédérations” (qui étaient avaient parfois des airs d’ersatz d’empires) disparaissent. Pendant ce temps, les Etats-nations d’Europe centrale et orientale qui viennent de recouvrer leur liberté n’ont quasiment tous qu’une idée en tête : assurer leur sécurité, voire leur existence, sous le parapluie de l’Otan.Dos au murCette Europe “made in USA”, l’Amérique de Donald Trump ne veut plus la maintenir, et quoi qu’on en dise aujourd’hui, cet abandon aura des conséquences – peut-être autant sinon plus que l’abandon de l’Empire romain d’Occident par Constantinople au Ve siècle. Bien sûr, cela ne veut pas dire que les Américains vont quitter le continent (il y a trop d’intérêts économiques en jeu), mais ils ne soutiendront plus cette Europe libre et démocratique, de l’Atlantique au Don, tel qu’ils l’ont forgé depuis 1917. Il revient donc aux Européens désormais de décider seuls de leur avenir, un avenir qui peut se décider dans une certaine continuité par rapport au passé, mais qui peut également, en l’absence d’union, être envisagée sous le signe de la division et d’une double servitude, vis-à-vis de Washington et vis-à-vis de Moscou.Faire une Europe entière et libre sans le soutien américain, ou se résigner à un servage plus ou moins volontaire de l’étranger. Cette fois, nos dirigeants sont dos au mur, et les décisions qu’ils prendront dans les prochaines semaines façonneront notre continent pour des années, peut-être des décennies à venir.*Thibault Muzergues est conseiller politique à l’International Republican Institute et l’auteur de Postpopulisme (Ed. de l’Observatoire).
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Publish date : 2025-02-26 11:30:00
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