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Eric Piolle reste droit dans ses bottes. Le précurseur de l’écologie municipale à Grenoble, ville en proie au narcotrafic et aux violences, ne compte pas opérer de “virage sécuritaire” contrairement à ses homologues écolos. De quoi inciter Marine Tondelier, son ancienne directrice de campagne à la dernière primaire présidentielle des Verts, à rompre avec l’intéressé ? “Je pense qu’il faut capitaliser sur l’expérience, ce que les Verts ne savent pas faire, dit-il à L’Express. Je serai bientôt un ancien grand élu [NDLR : il ne se représentera pas en 2026], une espèce rare chez les écolos puisque ces profils ont quasiment tous quitté le parti…”L’EXPRESS : Grenoble est au cœur de l’actualité avec des affaires et des actes de violence à répétition. Un maire peut-il lutter contre ce fléau ? En renvoyant la balle à Bruno Retailleau, vous semblez répondre par la négative.Eric Piolle : La loi confère ces missions régaliennes à l’Etat. Les municipalités, elles, font partie du continuum de sécurité, des deux côtés de la chaîne pénale. Les mairies, comme Grenoble, sont donc actrices de ce continuum, dont les édiles expérimentent souvent les limites. En réalité, l’Etat cache les moyens qu’il met en œuvre, le nombre de policiers nationaux qu’il déploie dans chaque zone, par exemple, donnant le désagréable sentiment de mettre les villes qui réclament davantage d’effectifs en concurrence.Beauvau pense que je suis laxiste parce que je n’installe pas de nouvelles caméras de surveillance, alors qu’il y en a déjà six par kilomètre-carré… Eh bien moi aussi je pense que Bruno Retailleau est laxiste, car il est tout répressif dans le verbe, mais dans les actes ne donne pas les moyens de la lutte contre le narcotrafic. Quand il s’est rendu à Grenoble il y a une dizaine de jours [NDLR : après l’attaque à la grenade d’un bar de la ville], il a annoncé l’arrivée de 16 nouveaux policiers nationaux. Par la suite, on a appris que 13 d’entre eux étaient alloués à la chasse aux immigrés. La stratégie nationale est un échec depuis des années. En matière de santé publique, c’est un échec car il n’y a pas de prévention. En matière de sécurité, c’est un échec puisque l’on concentre l’essentiel de nos moyens dans la lutte contre le narcotrafic sans que la consommation ni la vente ne diminuent. Et puis c’est un échec en matière de réinsertion, puisque la récidive reste énorme. Les ministres de l’Intérieur écopent la mer à la petite cuillère, et utilisent leur poste comme un tremplin politique.Face au narcotrafic, les maires ne sont pas impuissants car nous sommes compétents en matière de tranquillité publique. En tant que premier rideau, nous disposons d’informations à tout moment, nos agents sont sur le terrain, dialoguent avec les populations, mènent des actions de prévention. A Grenoble, nous observons une exploitation humaine en bas de l’échelle du deal avec des jeunes de plus en plus fracassés, des gens qui sortent des armes à n’importe quelle heure de la journée, sur fond de règlements de comptes entre bandes rivales. L’évolution est inquiétante, pour moi, pour la population, et elle s’étend géographiquement dans une multitude de villes petites et moyennes. Je pense que la légalisation encadrée du cannabis est une solution pour déstabiliser ces entreprises mondialisées, qui concentrent une grande partie de leur chiffre d’affaires sur cette drogue. C’est une question sur laquelle l’expérience du pouvoir m’a fait changer d’avis. Il faut pouvoir ouvrir ce débat.Certains de vos homologues écologistes ont également changé d’avis en cours de mandat et opéré, face à l’insécurité, quelques virages. Pierre Hurmic, à Bordeaux, l’a revendiqué, en armant partiellement sa police municipale. Grégory Doucet, l’édile de Lyon, veut installer plusieurs dizaines de caméras surveillance. Diriez-vous que le réel les a droitisés ?L’armement de la police municipale n’est pas une politique publique, c’est une décision d’employeur, pour la sécurité de ses agents. J’ai étudié cette question régulièrement, j’ai passé un an à discuter avec les policiers municipaux, les experts de la question. Ma conclusion est toujours la même : pistolet à impulsion électrique, bombe lacrymo, bâton télescopique, caméra piétonne sont le bon équipement pour leurs missions. Sur la question des caméras de vidéosurveillance, nous en avons aussi ajouté dans l’espace public ! Mais je regarde les études scientifiques et je n’ai pas l’impression que ce soit très efficace. C’est assez déroutant de voir que tout le monde s’affranchit de la science en matière de sécurité, alors qu’on l’écoute pour le climat, l’énergie… Ces mesures permettent aussi aux édiles de sortir d’une chausse-trappe, et d’éviter de se retrouver au cœur de la tempête médiatique alors que la campagne municipale arrive à grands pas.On a aujourd’hui l’impression d’être à marée basse, mais je pense que nous pouvons conserver nos grandes villes, et en gagner d’autres de taille moyenne.Eric PiolleLa vague verte semble loin. Les écologistes peuvent-ils conserver leurs métropoles et en conquérir de nouvelles en 2026 ?Dès 2014, j’ai assuré que les écolos devaient abandonner leur statut d’éternels lanceurs d’alerte en proposant un projet concret fondé sur l’écologie politique. C’est ce que nous avons fait à Grenoble. J’ai rendu visite à Pierre Hurmic en 2016 à Bordeaux, lui ai dit qu’ils pouvaient gagner la ville. Je l’ai également fait à Strasbourg, à Marseille, à Poitiers ou encore à Tours avant les municipales de 2020. Les Ecologistes gouvernent désormais un tiers des 20 premières villes de France.On a aujourd’hui l’impression d’être à marée basse, mais je pense que nous pouvons conserver nos grandes villes, et en gagner d’autres de taille moyenne. Entre 2014 et 2020 à Grenoble, malgré le Covid, nous avons largement amélioré notre socle électoral, en parlant de vie quotidienne, de logement, de transports, d’alimentation… C’est tout cela qui conduit les gens à l’écologie politique.Ne craignez-vous pas que Grenoble, marquée par les faits divers, ne soit agitée en épouvantail de la gestion-type d’une ville écolo ?Non. Nous sommes toujours parmi les métropoles au taux de chômage le plus bas, toujours premiers sur les levées de fonds de start-up, nous sommes toujours une ville industrielle… Les campagnes municipales, de toute façon, sont vraiment la rencontre entre un maire, son équipe et la population. L’autre jour, j’ai envoyé à mes homologues écolos tous les articles peu reluisants qu’on se prenait dans la figure à la veille de la campagne de 2020. C’était moins systémique puisqu’on était les seuls ; cette fois-ci, c’est plus visible. Mais je ne pense pas que notre électorat passe sa journée à regarder CNews.“L’affaire Bayou” continue de secouer votre parti, alors que les plaintes contre l’ancien patron des Verts ont été classées sans suite – le procureur de la République n’imputant à Bayou aucune infraction. Pourtant, la direction rechigne à dire que Julien Bayou est innocent…La justice a rendu un verdict, qui s’ajoute à l’enquête externe lancée par Les Ecologistes : Julien Bayou est innocent des accusations de harcèlement moral et d’abus de faiblesse émises à son encontre. Il faut pouvoir dire les choses, ce qui n’empêche pas de reconnaître la souffrance des parties dans cette affaire, comme souvent dans des séparations de couples. Quand on est à la pointe du combat féministe, comme l’est notre parti, on traite parfois mal les sujets : en l’occurrence, il faut admettre qu’on a condamné quelqu’un un peu trop vite. On a fait une erreur qui a eu des conséquences majeures sur l’intéressé. La question des violences psychologiques, fruit du patriarcat, est systémique dans notre société. Mais un cas particulier ne peut être érigé en illustration du système.Les Ecologistes renouvelleront l’intégralité de leurs instances lors du prochain congrès à la mi-2025. La direction du parti doit-elle changer à cette occasion ?Je soutiens toujours Marine Tondelier pour le secrétariat national [NDLR : la présidence du parti]. Aucune embrouille là-dessus !Bien sûr, Les Ecologistes se structurent, ils doivent lâcher leur trompette individuelle, et j’ai beaucoup bossé pour ça en interneÉric PiolleIl y a, en revanche, une “embrouille” autour de votre nomination au porte-parolat du parti. Vous accusez Marine Tondelier de vous empêcher d’être candidat à ce poste – certains la soupçonnent d’avoir fait de même avec la sénatrice Mélanie Vogel. La patronne des Verts est-elle en train de verrouiller le parti ?Nous avons une divergence Marine et moi : elle pense qu’il faut continuer, comme à notre habitude, à avoir des porte-parole inconnus. Moi je pense qu’il faut capitaliser sur l’expérience, ce que les Verts ne savent pas faire. Si elle a d’autres arguments, qu’elle les avance ! Je serai bientôt un ancien grand élu, une espèce rare chez les écolos puisque ces profils, à l’exception de l’ancienne ministre Dominique Voynet revenue sept ans après, ont quasiment tous quitté le parti… La secrétaire nationale essaye d’étouffer le débat, cherchant à sécuriser ce qu’elle pense être la bonne stratégie. Je fais vivre cette différence de point de vue, et demeure candidat à ce poste. Bien sûr, Les Ecologistes se structurent, ils doivent lâcher leur trompette individuelle, et j’ai beaucoup bossé pour ça en interne. Mais verrouiller le parti n’est pas dans l’état d’esprit des militants écolos.Certains écolos déplorent le rôle d’arbitre du Nouveau Front populaire qu’a endossé Marine Tondelier, au détriment de l’expression d’une ligne politique claire. C’est également votre avis ?C’est grâce au travail de Marine, sa sincérité et sa franchise que le NFP a pu se constituer aussi rapidement. Il faut s’en réjouir, autant que sa dynamique médiatique, et c’est l’une des raisons pour laquelle elle dispose d’un fort crédit, en interne ou à l’extérieur du parti. Mais nous vivons dans une période, en France, en Europe et dans le monde, où l’écologie politique et les questions environnementales sont cornérisées dans le débat public. On est à marée basse, et nous devons trouver les moyens pour que notre discours soit davantage audible dans la société. Mais comme dit dans la réponse précédente, Les Ecologistes gagneront en audience – et c’est pour cela que je suis candidat au porte-parolat du parti – en étoffant une équipe. Mon mantra durant les municipales de 2014, c’était “Un maire, une équipe”, cela doit être pareil dans ce cas d’espèce. Notre parti est composé d’experts, de gens qui ont des choses à dire sur diverses questions : Charles Fournier à l’industrie, Benoît Biteau ou Marie Pochon sur l’agriculture et le monde rural, Marie-Charlotte Garin sur les questions féministes… Ce passage à une parole audible, cohérente et collective est possible, à condition que la soliste s’entoure d’un orchestre.La perspective d’une candidature unique à gauche semble s’éloigner, Jean-Luc Mélenchon a affirmé que les Insoumis présenteront un candidat à la prochaine présidentielle. Les Ecologistes devront-ils devoir choisir entre le PS et LFI ? Peuvent-ils porter le flambeau de la gauche en 2027 ?On le peut, mais ça n’est pas une condition. Rien ne sert de taper sur Jean-Luc Mélenchon car s’il n’était pas là nous aurions les mêmes difficultés stratégiques face au risque Hollande, Cazeneuve et consorts. Nous travaillons actuellement à une candidature commune, plus large que celle des écologistes. En 2027, l’aventure sera collective, et nous déterminerons une méthode pour propulser notre candidat, ou candidate. Qui sait, peut-être que La France insoumise rejoindra cette dynamique. A la fois personne ne sera notre candidat naturel, et à la fois existent les bases pour créer un collectif qui fera envie, qui nécessite une articulation indispensable avec la société civile.Et vous, dans tout cela ?Quand je me suis lancé dans la course en 2022, je pensais être l’un des rares à avoir la spécificité de pouvoir unir, de La France insoumise à une moitié du Parti socialiste. C’était le sens de ma candidature à la primaire écologiste, mais j’ai été battu par Sandrine Rousseau dans des circonstances un peu spéciales. Aujourd’hui, je ne pense plus être porteur de cette spécificité. Il faut continuer à cultiver cet esprit commun et c’est à cela que je m’attelle.



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Author : Mattias Corrasco

Publish date : 2025-02-27 15:00:00

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