Ce fut un des événements de la dernière Foire du livre de Francfort, au mois d’octobre : Albin Michel a cédé les droits d’Alice au pays des idées de Roger-Pol Droit dans une vingtaine de pays. Un an après Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser, vendu à plus de 300 000 exemplaires, l’éditeur va-t-il connaître le même succès en remplaçant l’histoire de l’art par celle de la philo ? Déjà auteur de La Philosophie expliquée à ma fille et L’Ethique expliquée à tout le monde, ce pédagogue reconnu présente ainsi l’héroïne de son premier roman : “C’est une jeune fille d’aujourd’hui, anxieuse du sort de la planète, de la survie des espèces animales, des bruits de guerre. Elle se demande comment vivre dans ce monde, quoi faire de son existence. Elle cherche une phrase à se faire tatouer sur le bras, comme boussole de vie.” Et il précise ainsi son projet : “Depuis toujours, je suis convaincu que les questions les plus graves peuvent être abordées avec allégresse. S’ennuyer n’est pas nécessaire pour réfléchir.” Croisant Alice au pays des merveilles et Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder, Roger-Pol Droit confronte son Alice à quelques personnages facétieux (la Fée Objection, la Souris Sage, la Souris Folle et un drôle de kangourou) qui l’embarquent dans un monde parallèle nommé le Pays des Idées, où elle va interviewer tour à tour les plus grands philosophes de l’histoire mondiale – et c’est une des qualités du livre que de ne pas être bêtement européo-centré et de nous emmener aussi en Inde, en Chine et en Perse.Comme Les Yeux de Mona, Alice au pays des idées peut se lire de la première à la dernière page ou bien dans le désordre, en piochant au gré des 40 rencontres au sommet que fait Alice. Cette veinarde a le privilège de croiser Socrate puis d’être enfermée dans la caverne avec Platon, avant de discuter avec Confucius, Avicenne, Montaigne, Machiavel, Spinoza, Voltaire, Hegel… Dans des chapitres réussis, elle déjeune avec Kant à Königsberg en 1790, prend le thé avec Marx au British Museum en 1858, se promène avec Nietzsche à Sils-Maria en 1887, s’entretient avec Freud dans son cabinet viennois en 1910. Lequel d’entre eux parviendra-t-il à l’impressionner le plus ? L’auteur de cette phrase : “Nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection.” On aura reconnu Rousseau, dans son Discours sur les sciences et les arts (1750). A Genève, Alice danse le menuet avec “Jean-Jacques”. L’auteur d’une Dissertation sur la musique moderne se met ensuite au clavecin, puis déroule sa pensée : “Les joues d’Alice sont en feu. Quel trouble, quelle émotion ! Ce Jean-Jacques n’est pas comme les autres philosophes. Elle sent en lui une fougue, un élan qui sonne différemment.” Elle “applaudit des deux mains” et “pose un baiser sur la bouche de Jean-Jacques”. Jusqu’à la fin de ses aventures, il demeurera son grand homme…”Sans amis, personne ne choisirait de vivre”C’est le jeu avec ce genre de livre : déplorer certaines absences. Si Roger-Pol Droit a eu le bon goût de faire figurer dans sa fable des penseurs aussi dissemblables que Diogène et Marc Aurèle, on peut s’étonner que des gens majeurs tels saint Augustin, Leibniz ou Kierkegaard n’existent pas dans son Pays des Idées. Pascal, qui reste l’un des plus grands génies de notre patrimoine littéraire tous genres confondus, est balayé page 89 à cause d’une citation : “Si tous les hommes savaient ce que disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde.” Alice trouve qu’il “exagère”, préférant ce mot d’Aristote dans Ethique à Nicomaque : “Sans amis, personne ne choisirait de vivre.” Visiblement, la lucidité des moralistes du XVIIe siècle n’est pas soluble dans la littérature grand public du XXIe… Plus loin, Heidegger, “qui passe pour être un philosophe d’envergure” (c’est le moins qu’on puisse dire !), est sommairement exécuté à cause de l’antisémitisme de ses Cahiers noirs qui laisse Alice “consternée”. Certes, Heidegger traîne de lourdes casseroles, mais de là à blacklister Etre et Temps, Chemins qui ne mènent nulle part ou Acheminement vers la parole… Là encore, un certain angélisme atteint ses limites, d’autant que Rousseau lui-même, le plus insincère de nos autobiographes, n’était pas un petit saint. Ces réserves ne devraient pas venir à l’esprit du lectorat ciblé par le livre, et on est curieux de voir, dans les semaines à venir, quel chemin va emprunter Alice dans le classement des meilleures ventes. Le mènera-t-il jusqu’à la première place ?Alice au pays des idées. Par Roger-Pol Droit. Albin Michel, 431 p., 22,90 €.
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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld
Publish date : 2025-02-02 11:30:00
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