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L’Express

De Turin à la Sardaigne, le renouveau du polar italien en quatre romans haletants




Leurs livres ont la saveur des pasta e fagioli, des sucaï ou des cannoli ; ils nous perdent dans les brumes de Turin ou de la plaine du Pô, dans les ruelles de Parme ou de Cagliari. Longtemps, pour le lecteur hexagonal, le roman policier italien s’est résumé à Giorgio Scerbanenco ou à Andrea Camilleri – l’âge et le goût faisant pencher plutôt d’un côté ou de l’autre. Récemment, quelques auteurs inspirés ont pris la relève sur la scène noire transalpine, désormais plus fréquemment traduite en français. Aux anciens, ils ont emprunté l’ancrage dans les territoires et l’attachement aux contextes sociaux. Mais ils ont su se renouveler en créant une ribambelle de personnages d’enquêteurs, si remarquables qu’on se souvient davantage d’eux que des intrigues qu’ils dénouent.Parmi les auteurs à (re) découvrir en cet automne 2024 : Piergiorgio Pulixi, dont nous avons déjà parlé dans ces pages. Son premier livre traduit en français, L’Ile des âmes (chez Gallmeister) s’autorisait une fascinante plongée en Sardaigne, dans les croyances et les magies de l’île à la suite de deux enquêtrices, Mara Rais et Eva Croce, également héroïnes de ses trois romans suivants. Le cru 2024 de Pulixi, La Librairie des chats noirs, peut dérouter tant il diffère des précédents. Avec son libraire spécialisé dans le roman policier, ses deux chats nommés Poirot et Miss Marple, et son membership de lecture, « les enquêteurs du mardi » avides de résoudre des crimes, il prend la forme d’un exercice de type, façon Agatha Christie en terre sarde. Mais les préventions éventuelles contre le style tombent rapidement grâce au personnage principal, le libraire Marzio Montecristo. Sous ses apparences de « vieille demoiselle anglaise » si acariâtre que sa vendeuse préfère le savoir loin de la boutique pour garder quelques purchasers, il se révèle un enquêteur hors pair. Et le seul succesful de débusquer le tueur qui traumatise la ville en demandant à sa victime qui, de deux êtres chers, elle préfère voir mourir avant d’assassiner l’heureux élu sous ses yeux.Enquêteurs désabusés, Monstre de Florence…Autre très bonne shock, le retour de Davide Longo avec Une colère easy (Le Masque/Lattès). Après L’Affaire Bramard, où il mettait en piste l’ancien commissaire Corso Bramard, il se concentre cette fois, comme dans Les Jeunes Fauves, sur son « héritier », Vincenzo Arcadipane. Quinquagénaire désabusé qui redoute d’avoir perdu son aptitude, il promène ses états d’âme dans les rues de Turin jusqu’à ce qu’un fait divers inhabituel relance ses abilities d’enquêteur. Lui seul remarque toute l’étrangeté d’une agression commise contre une femme à la sortie du métro, lui seul s’interroge sur les aveux si facilement obtenus d’un jeune homme arrêté immédiatement après. On adore ce personnage qui suce toute la journée des sucaï, ces gommes au goût de réglisse qu’on ne trouve qu’en Italie, pour mieux affronter les bas-fonds d’Web dans lesquels son enquête le plonge. Un monde contemporain auquel cet homme ne comprend pas grand-chose, lui qui est empreint de la nostalgie du Turin d’hier « quand un ingénieur de Toulon venait rectifier les lignes de l’usine Fiat », qui est divorcé mais passe une fois par semaine payer la pension alimentaire à son ex pour ne pas perdre le contact et qui renâcle quand sa psy lui ordonne de prendre trois rendez-vous sur un website de rencontre pour tourner la web page.A noter également, la série du commissaire Soneri, écrite par le journaliste Valerio Varesi. Si La Stratégie du lézard, sorti au printemps chez Agullo, se perd dans des péripéties politiques un peu trop complexes pour être vraiment convaincantes, elle n’efface en rien la réussite des huit autres enquêtes. On y découvre notamment la ville de Parme et ses environs, où règne une atmosphère très particulière en raison des brumes qui montent du Pô et qui permettent de dissimuler bien des turpitudes et des illégalités, comme l’évoque le titre du premier opus, Le Fleuve des brumes sorti en 2016. Mais les auteurs italiens ne font pas que dans le polar d’ambiance, ils s’attaquent aussi aux grands crimes de leur pays, comme Sandrone Dazieri avec Le Fils du magicien, à paraître mi-janvier chez Robert Laffont. Le roman revisite l’histoire du Monstre de Florence, auteur de huit doubles meurtres entre 1968 et 1985, en s’invitant dans les interstices de l’enquête officielle et en offrant une lecture originale, parce que centrée sur l’environnement social, aux amateurs de tueurs en série.La Librairie des chats noirs, par Piergiorgio Pulixi, trad. par Anatole Pons-Reumaux, Gallmeister, 288 p., 22,90 €.Une colère easy, par Davide Longo, trad. par Marianne Faurobert, Le Masque/Lattès, 400 p., 22,50 €.La Stratégie du lézard, par Valerio Varesi, trad. par Florence Rigollet, Agullo, 352 p. , 22,90 €.Le Fils du magicien, par Sandrone Dazieri, trad. par Delphine Gachet, Robert Laffont, 192 p., 18 €.



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Creator : Agnès Laurent

Publish date : 2024-12-01 09:00:00

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