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En suivant les élections législatives françaises anticipées, je songe à la description que fait Tocqueville de la Révolution française : à la moitié de l’escalier, nous nous sommes jetés par la fenêtre pour arriver plus vite au sol.Emmanuel Macron est loin d’être le président idéal, mais il a encouragé de nombreux autres Européens à regarder à nouveau la France. Par à-coups, celle-ci a commencé à ressembler à un pays réformable, ainsi qu’à une destination possible pour les investissements et pas seulement pour le tourisme. Macron est parvenu à faire baisser l’inflation, à augmenter les niveaux d’emploi, à rendre les retraites plus viables et, grâce à une série de réformes structurelles, à accroître les perspectives de croissance future.Pourtant, de larges pans de la société française estiment qu’on n’en a pas fait assez pour protéger le pouvoir d’achat, les retraites et l’emploi, et se demandent s’il ne vaudrait pas mieux se jeter par la fenêtre. Car c’est bien à cela que se résument les projets des deux principales alternatives à Emmanuel Macron. Par convention, l’extrême droite et l’extrême gauche sont considérées comme opposées, mais en réalité, elles ont une idéologie commune : faire sauter la banque.Elles souhaitent toutes deux abroger la réforme des retraites de Macron, et rendre ainsi le système de retraite dangereusement insoutenable pour une population vieillissante. Elles proposent toutes deux de longues listes de cadeaux, d’avantages, d’augmentation des salaires et de baisse des prix, mais sont terriblement peu loquaces sur les plans de financement. Dire que l’on va chercher à faire des économies dans la vague catégorie de la « fraude » revient à dire que l’on n’a pas identifié ces économies. Pis, les projets d’impôts sur la fortune et la finance semblent destinés à faire fuir les investissements dont la France a désespérément besoin. Deuxième économie la moins libre d’Europe occidentaleLa raison pour laquelle cela est si dangereux est que les finances publiques sont déjà dans une situation précaire. Le grand échec de Macron est de ne pas avoir fait plus pour donner à la France une assise fiscale solide.Les impôts et les dépenses français sont plus élevés que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE. Pourtant, le déficit public s’élève à plus de 5 % du PIB, et la dette publique dépasse le chiffre incroyable de 110 % du PIB. Selon le projet Economic Freedom of the World, la France est la deuxième économie la moins libre d’Europe occidentale, après l’Italie. Le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire se penchent désormais sur ce baril de poudre et réfléchissent à la manière dont ils pourraient le mettre à feu.Pour reprendre les termes de l’économiste français Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, le programme du RN est une agrégation incohérente et fiscalement irresponsable de cadeaux. Mais le programme du NFP est presque pire précisément parce qu’il est cohérent – cohérent dans sa façon de saper les incitations à produire de la richesse et de l’emploi. Aucun d’entre eux ne semble s’intéresser le moins du monde à la croissance et à la compétitivité.La proposition de tarifs douaniers sur les produits étrangers ne provoquerait pas seulement un conflit avec l’UE, elle éroderait également le pouvoir d’achat de la population et menacerait la position internationale des entreprises françaises. La perspective d’avoir l’une de ces forces politiques à la tête du gouvernement français, ou d’avoir un Parlement sans majorité et subissant ces influences décisives, ne peut que réjouir les ennemis de la France.Le mauvais exemple suédoisPour le Suédois que je suis, cette situation rappelle étrangement celle de la Suède des années 1980. À cette époque, le pays avait augmenté la taille de son gouvernement ainsi que les impôts pour atteindre les niveaux français actuels. Les déficits s’étaient creusés et la dette avait augmenté de façon spectaculaire, mais nous avions encore le sentiment d’être invulnérables, parce que nous étions sur cette voie depuis longtemps et que rien de grave ne s’était produit jusqu’alors.Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation de surenchère. Le gouvernement et l’opposition ont offert des cadeaux de plus en plus coûteux aux électeurs. Lorsque les sociaux-démocrates au pouvoir ont proposé que l’État construise 1 million de nouveaux appartements en peu de temps, le principal parti d’opposition a promis 1,1 million de nouveaux appartements. Le taux de croissance de la Suède a commencé à être inférieur à celui d’autres pays, des investissements et des entreprises comme Ikea ont quitté le pays et les dettes se sont accumulées. En fin de compte, le modèle d’un gouvernement omniprésent ne pouvait être maintenu qu’avec des déficits plus élevés et le reste du monde a fini par se demander pourquoi il devait le financer alors que les perspectives de croissance future s’amenuisaient. Au début des années 1990, tout cela s’est effondré, lorsque plus personne n’a voulu prêter aux prodigues. Nous étions invulnérables, jusqu’à ce que nous ne le soyons plus.Pendant un bref moment, la banque centrale suédoise a dû augmenter son taux d’intérêt à 500 % (oui, vous avez bien lu, 500 %) pour inciter les gens à garder leurs capitaux chez eux. Sans monnaie indépendante, la France ne peut pas faire cela, mais elle peut être forcée à payer des taux extravagants sur la dette souveraine.La France n’est pas la GrèceLes sauvetages effectués après la crise de l’euro et la réduction temporaire des écarts de taux d’intérêt ne doivent pas donner à quiconque un faux sentiment de sécurité. La France n’est pas la Grèce. Elle est trop grande pour être sauvée et, en tout état de cause, la fierté nationale française ne laisserait pas de place au type de contrôle à distance d’une économie qu’un pays comme la Grèce a subi de la part de la Commission européenne et de l’Allemagne.Il fut un temps où Macron disait craindre que la France ne devienne Cuba sans le soleil. Sous le régime du RN ou du NFP, elle risque de devenir la Suède des années 1990, sans la cohésion sociale qui lui a permis de sortir de l’abîme pacifiquement, grâce à des réformes douloureuses acceptées par consensus entre la gauche et la droite.Avec le couteau sous la gorge et les créanciers à la porte, les Suédois ont dû procéder en quelques mois à toutes les dépenses et réformes structurelles qu’ils avaient repoussées pendant des décennies. Cela a fonctionné, et la Suède a rapidement recommencé à faire mieux que les autres pays. Mais cela a été beaucoup plus douloureux que si nous nous y étions pris tôt, de manière ordonnée, lorsque nous en avions encore le temps.Nombreux sont ceux qui se rassurent en espérant que les populistes deviennent plus modérés lorsqu’ils sont au pouvoir, et c’est évidemment une possibilité. Mais il ne faut pas exclure le risque inverse. Parfois, le pouvoir n’est pas une influence modératrice, mais libératrice.Les amis de la France retiennent aujourd’hui leur souffle, pour les Français et pour l’Europe. Comme le soulignait aussi Tocqueville, la France, par sa taille et son exemple, est à la fois plus brillante et plus dangereuse que les autres pays européens, la plus certaine d’inspirer l’admiration ou la pitié, mais jamais l’indifférence.*Chercheur au Cato Institute, Johan Norberg est notamment l’auteur de The Capital manifesto (Atlantic Books) et de Non ce n’était pas mieux avant : 10 bonnes raisons d’avoir confiance en l’avenir (Plon).
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Publish date : 2024-06-25 18:26:37
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