Six nouveaux pays – l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Iran, l’Erythrée, l’Egypte et l’Argentine – ont rejoint les Brics. Les ennemis d’hier sont prêts à s’associer dans une organisation que la Chine voudrait voir concurrencer le dollar au profit du yuan et les Russes former un groupe anti-occidental, tandis que l’Inde y affine son multi-alignement.Autant dire que les Brics, ou Sud global, ou pays en voie de développement, sont un panier de crabes où des ennemis sont prêts à faire un bout de chemin ensemble par opportunisme politico-économique, mais qui regardent tous dans une direction différente, voire concurrente. On me rétorquera que c’est la même chose parmi les membres du G7. D’accord. Mais les dissensions au sein des Brics-Sud global sont viscérales, elles tiennent à des enjeux territoriaux (Inde-Chine) autant qu’historiques et civilisationnels (Iran-Arabie saoudite). Mais ils sont d’accord pour envoyer les droits de l’homme par-dessus bord et n’accorder aucune importance aux droits les plus élémentaires de leurs citoyens, nier jusqu’à « génocider » les minorités ethniques, religieuses et sexuelles, considérer la liberté comme un lent poison et l’égalité comme une vaste blague. Et surtout, ils en sont fiers. Ils sont cohérents. Pas nous.Le camp occidental des démocraties libérales qui se tient (encore) fermement derrière l’Ukraine et tente de convaincre les pays non-alignés de s’aligner davantage contre la Russie, sait tisser de beaux discours qui fleurent bon l’harmonie, la paix, la liberté. Joe Biden en a fait la preuve devant l’ONU le 19 septembre. Il a regardé le monde dans les yeux et a posé l’équation : la Russie fait à l’Ukraine ce que nul ne voudrait subir, soit envahir un territoire souverain et faire des morts innocents. D’accord. Mais. La veille, les Américains ont dealé avec la République islamique d’Iran. Ils ont échangé des otages américains contre des prisonniers iraniens. Et ils ont libéré plus de 6 milliards de dollars gelés au nom des sanctions légitimes qui vont directement finir dans les turbans noirs et blancs de la mollahrchie.Faut comprendre messieurs dames, faut comprendre : les élections américaines approchent et il ne faudrait pas que les mollahs nous cherchent des noises, il ne faudrait pas gâcher le tableau des réussites de Biden le vieux et revoir Trump la houppette à la tête de la première puissance mondiale. Tant pis pour l’anniversaire de l’assassinat de Mahsa Amini, tant pis pour les Iraniens qui se battent et meurent, qui se lèvent et tombent au nom de nos valeurs, pour vivre en démocratie libérale. Pour vivre comme nous.Se relever les manches démocratiquesTant pis, pour l’instant c’est Ukraine qui a le premier rôle, personne ne verra rien. Voyez comme personne n’a rien vu quand Hongkong a été vidée de sa substance démocratique, quand tous les combattants de la liberté pourrissent en prison. Défendre la démocratie libérale en mots, en discours, en indignation, c’est facile, ça n’engage pas, ça ne fait pas de salissure, ça ronronne et ça rassure. Mais défendre les Iraniens et les Hongkongais, les Birmans et les Thaïlandais, ça peut faire tache électorale, ça peut engager au long cours et coûter en vie, ça peut brouiller l’avenir.Regardez ce que disent les exemples irakien, libyen ou afghan ! Regardez ce que ça donne quand on s’engage en vrai, en dur, en présentiel ! D’accord. Pour l’Irak et la Libye d’accord. C’était mal foutu, mal engagé, mal pensé. Mais je regarde l’Afghanistan. Je ne vois qu’une chose : en 2001 il y avait 1 million d’enfants scolarisés. En 2018 ils étaient 10 millions d’Afghans à l’être. Je vois des femmes qui avant l’intervention occidentale n’existaient pas. Je vois des femmes qui existaient après et qui meurent aujourd’hui à la suite du lâche abandon des Occidentaux et l’absence criante et honteuse de résistance afghane.Alors ? Alors, il faudrait peut-être se relever les manches démocratiques. Il faudrait peut-être commencer à faire coïncider discours et actes. Il faudrait commencer par être fier de ce qu’a accompli cet Occident honni jusque dans les discours des Occidentaux. Il faudrait qu’Antonio Guterres, à la tête d’une ONU moribonde qui n’est plus que la tribune des pires dictateurs, se taise. Qu’il ne profite pas de son discours pour fustiger l’Occident et la France, en donnant du crédit au discours des islamistes : « Dans certains pays, les femmes et les filles sont punies parce qu’elles portent trop de vêtements. Dans d’autres, parce qu’elles n’en portent pas assez ». Car tout le monde sait que les femmes qui ne portent pas de mini-jupe sont torturées et tuées en Occident. Parfois on aimerait que la honte étouffe certains discours qui discréditent la démocratie libérale et alimentent les pires dictatures.* Abnousse Shalmani est écrivain et journaliste engagée contre l’obsession identitaire
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2023-09-23 09:00:00
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Les Brics s’organisent contre les démocraties libérales et nous regardons ailleurs, par A. Shalmani
