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Chantage à la sextape à Saint-Etienne : les confessions du « barbouze » à l’origine de l’affaire

Chantage à la sextape à Saint-Etienne : les confessions du "barbouze" à l'origine de l'affaire




« Comment on peut faire une chose pareille ? » Cette exclamation de l’ex-député Gilles Artigues, alors premier adjoint au maire de Saint-Etienne, a lieu dans un cadre privé, celui du domicile de Samy Kéfi-Jérôme, adjoint à l’Education. La scène se passe le 18 septembre 2016. Dans une mise en abyme sordide, l’homme politique ignore alors qu’il est filmé à son insu… en train de découvrir une autre vidéo filmée à son insu, très intime. « J’étais en confiance avec vous », s’indigne encore Gilles Artigues. « Ça s’appelle une laisse », rétorque Samy Kéfi-Jérôme, lorsque son collègue découvre, incrédule, le premier film tourné clandestinement. « In bed with Gilles Artigues » est le titre donné à cet enregistrement.Sept ans plus tard, Samy Kéfi-Jérôme est mis en examen, notamment pour chantage, recel et atteinte à la vie privée. Le guet-apens auquel il est soupçonné d’avoir participé ressemble à un mauvais scénario de série Netflix dans la 14e ville de France. Parce qu’il devenait politiquement encombrant à Saint-Etienne (174 000 habitants), il aurait été décidé de faire chanter Gilles Artigues, patron du Modem local. A l’issue d’une soirée parisienne, l’ex-député, homme marié engagé contre le mariage homosexuel, a été filmé en compagnie d’un escort boy. Mais la caméra est tombée en panne de batterie après quelques minutes. Une première vidéo a été réalisée, et c’est celle-là qui a été montrée à Gilles Artigues chez Samy Kéfi-Jérôme, dans l’espoir qu’il s’épanche davantage sur les faits. « La suite est ce qui importe pour moi », annonce ce soir-là l’adjoint à l’Education, une fois que son collègue s’est décomposé. Puis il formule plusieurs demandes politiques afin que le film reste « secret ».L’adjoint n’a pas agi seul. Le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, est également mis en examen pour chantage, et a été entendu comme témoin assisté sur des faits de détournement de fonds publics. « Notre client n’était pas du tout au courant de la mise en place de l’enregistrement et il conteste avoir voulu utiliser l’information dans ses échanges avec Gilles Artigues », font savoir ses avocats, maîtres Christophe Ingrain et Jean-Félix Luciani. L’édile, qui s’accroche à son poste, a été exclu des Républicains. Son directeur de cabinet d’alors est également poursuivi. Les trois hommes contestent l’ampleur de leur participation au piège. Ils demeurent présumés innocents.Un quatrième protagoniste ne conteste aucunement les faits. Au contraire, Gilles Rossary-Lenglet reconnaît auprès de L’Express avoir été au cœur de la machination… jusqu’à ce qu’il décide de tout révéler à Mediapart, le média qui a dévoilé l’affaire, en août 2022. Cet ancien compagnon de Samy Kéfi-Jérôme, âgé de 51 ans, est lui aussi mis en examen, pour complicité de chantage et recel. Il a aujourd’hui décidé de raconter sa vérité sur cette boule puante. L’idée du complot, la contrepartie financière de 50 000 euros, la rupture du pacte, la sollicitation de Mediapart… Cet ex-collaborateur du groupe Modem au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui se décrit lui-même comme un « barbouze » et un « personnage romanesque », se livre. Son récit est contesté par les trois autres prévenus, au point qu’un pan du dossier s’est transformé en une anti-affaire Penelope Fillon : Gilles Rossary-Lenglet assure qu’il a été rémunéré pour des prestations fictives, quand ses contradicteurs soutiennent qu’il a bel et bien travaillé. L’aveu de cet ex-homme de l’ombre a au moins un mérite : il permet de mieux cerner comment naissent et prospèrent les coups montés politiques.L’Express : Pourquoi décider aujourd’hui de révéler au public l’ampleur de votre participation au complot contre Gilles Artigues ?Gilles Rossary-Lenglet : Je ne suis pas un ange, je ne vais pas vous faire le coup du repenti. Si j’ai décidé de tout révéler, d’abord à Mediapart, c’est parce que le clan Perdriau n’a pas tenu sa parole envers moi : ils m’avaient promis de me proposer un emploi, – un vrai emploi -, si j’étais dans le besoin. Ils n’ont pas respecté le contrat. J’ai décidé de tout révéler aussi parce que je sentais l’hostilité de ce clan à mon endroit, leur volonté de se débarrasser de moi, que je quitte la ville. Désormais, j’ai aussi envie de faire œuvre utile, de raconter l’envers du décor, car je pense être le premier barbouze à parler. Ce qu’on a fait n’est pas inédit, ça existe ailleurs, mais d’habitude, les gens ne parlent pas car les élus respectent leur partie du contrat.Quel rôle avez-vous joué dans ce piège tendu au premier adjoint ?Je suis un aventurier, j’ai connu plusieurs vies professionnelles, entre la voyance, le monde des casinos, la diplomatie, la politique… J’ai déjà effectué ce genre de barbouzeries par le passé, dans la sphère économique, notamment. Je suis un professionnel. Quand j’ai appris que Gaël Perdriau et ses amis cherchaient à se débarrasser de Gilles Artigues, dès le printemps 2014, j’ai proposé de le prendre en vidéo avec un homme. La duplicité de Gilles Artigues, qui avait pris des positions anti-mariage pour tous, me déplaisait. En échange j’ai demandé du temps – six mois – et de l’argent – 50 000 euros, via des fausses factures et des achats en nature. Enfin, je leur ai fait promettre de me trouver un vrai emploi le jour où j’en aurais besoin.Comment avez-vous monté le coup ?Je savais que Gilles Artigues ne ferait rien à Saint-Etienne, j’ai donc attendu qu’il se déplace à Paris en janvier 2015, en compagnie de Samy Kéfi-Jérôme, – nous habitions ensemble. J’ai cherché un escort boy sur un site Internet, auquel j’ai dit que nous voulions faire un cadeau à un ami pour son anniversaire. Ça coûtait 300 euros. Puis j’ai chargé Samy de faire le nécessaire, dans sa chambre d’hôtel, avec une caméra cachée. Sauf que la caméra n’avait plus de batterie après quelques minutes. Ce qui a occasionné une deuxième vidéo pour tenter de faire avouer Gilles Artigues.Comment avez-vous obtenu une contrepartie de la mairie de Saint-Etienne ?On m’a conseillé de choisir des associations amies vers lesquelles octroyer des subventions de 20 000 euros. Ces subventions n’ont pas été soumises au conseil municipal et ne sont pas passées par l’adjoint à la culture, mais par l’enveloppe du maire. J’ai choisi les associations France-Lettonie Loire Auvergne et Artistes de la galerie art pluriel. Puis j’ai adressé de fausses factures à ces associations, qui m’ont reversé l’argent.Ces deux associations assurent que vous avez bien travaillé pour elles, que vous avez apporté votre réseau. Ses dirigeants ne sont d’ailleurs pas poursuivis à ce stade.Je les connais, j’ai pu les aider ici ou là, j’ai dû par exemple faire deux tartes aux pommes pour un événement de l’association France-Lettonie, mais c’est tout. Mes factures étaient fantaisistes par rapport à la réalité des prestations.Pourquoi avoir brutalement décidé de sortir de ce pacte de chantage ?Quand mon contrat avec le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes s’est arrêté, fin 2018, j’ai cherché un emploi. J’ai candidaté à plusieurs reprises à des postes à la mairie de Saint-Etienne mais j’ai senti qu’on me baladait. J’étais devenu gênant. J’ai fini par interpeller Gaël Perdriau, que j’ai rencontré au théâtre, en mai 2022. Il m’a fixé un rendez-vous à la mairie quelques jours plus tard. Là, Pierre Gauttieri, le directeur de cabinet, m’a proposé un poste de collaborateur de la majorité au conseil municipal, pour 2500 euros brut par mois. Mais ce n’était pas un vrai emploi. Je n’étais plus en confiance avec eux. Si j’acceptais, j’étais à leur merci. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’aller voir Mediapart. J’ai gardé plusieurs enregistrements et documents clefs. Quand la police est venue perquisitionner chez moi, je leur ai tout donné directement sur une clef USB.Aujourd’hui, envisagez-vous de continuer ce type de barbouzeries ?Non. Je suis mis en examen, je serai condamné. Je suis grillé, j’assume. J’ai beaucoup réfléchi à cette affaire, qui m’a en partie détruit, puisque je suis au RSA, j’ai dû démissionner de plusieurs engagements, comme la franc-maçonnerie au Grand Orient de France, qui était extrêmement importante pour moi. Je veux alerter le public. Les professionnels comme moi existent dans le monde politique, ils se recrutent via le bouche-à-oreille, quiconque a été militant d’un parti en a entendu parler. On pourrait remonter jusqu’au faux attentat de l’Observatoire contre François Mitterrand. Si on veut que ce genre de scandales éclate plus souvent, il faut protéger juridiquement ceux qui les révèlent. La loi Sapin 2 sur les lanceurs d’alerte, par exemple, s’applique seulement au secteur économique. Pourquoi ne pas protéger également ceux qui révèlent des scandales politiques ? Cela me semble nécessaire.Difficile dans votre cas de prétendre à une protection de la loi : vous êtes un des principaux cerveaux d’un chantage…Oui, je ne parle pas pour moi. Je suis pleinement conscient de ce que j’ai fait. Mais ce n’est pas parce qu’on est un barbouze qu’on ne peut pas s’intéresser à l’intérêt général.



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Author : Étienne Girard

Publish date : 2023-05-31 11:30:00

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